Dans les coulisses de l’interview qui fit tomber Klaus Barbie

En 1972, le journaliste français Ladislas de Hoyos et Christian Van Ryswick, journalistes pour Antenne 2 à l’époque, débusquent un homme recherché depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale en Bolivie. Et il est question de nul autre que le célèbre nazi Klaus Barbie, dit le Boucher de Lyon. Par l’audace de la démarche et le culot des question, voici l’histoire d’un véritable scoop.

Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, de nombreuses vocations ont vu le jour. Notamment celle de « chasseurs de nazis ». C’est le cas de Beate et Serge Klarsfeld, qui se sont employés à parcourir le monde pour retrouver les anciens officiers nazis qui ont disparu suite à la défaite. Et notamment Klaus Barbie, le chef de la Gestapo à Lyon, responsable de la déportation qui coûta la vie à des milliers de personnes, repéré par le couple en Bolivie.

La chasse commence

En 1972, les Klarsfeld se rendent à la Paz à la recherche d’un certain Klaus Altmann, un faux nom derrière lequel se cacherait le criminel nazi. Le journaliste français Ladislas de Hoyos, grand reporter pour la télévision française accompagné par son caméraman Christian Van Ryswick suivent le couple. Après de nombreuses demandes auprès des autorités boliviennes, ils parviennent à obtenir l’interview du dénommé Altmann. Le gouvernement militaire bolivien compte sur cet interview pour mettre fin à la rumeur d’un ancien nazi parmi leurs citoyens.

L’interview se déroule dans le locaux du ministère de l’Intérieur le 3 février 1972. Elément important, celui-ci se trouve à quelques mètres de l’Ambassade de France. Un homme âgé, ressemblant avec un portrait du chef de la Gestapo, se présente. Il s’agit de Klaus Altmann. Et malgré la tension dans la pièce, il prend le temps de sourire aux journalistes. De Hoyos perçoit furtivement dans ce sourire quelque chose qui confirme qu’il ne s’est pas trompé.

« Arrive Klaus Altmann, petit bonhomme un peu frippé, mais toujours avec un regard perçant. »


Christian Van Ryswyck

L’interview se déroule comme ce qui était convenu : des questions validés par les autorités boliviennes en amont, et posées en espagnol ; bien entendu, Klaus Altmann dément être Klaus Barbie. Il n’est qu’un entrepreneur allemand installé en Bolivie avec sa famille depuis quelques années.

Changement de programme

Mais las des réponses données par ce dernier, Ladislas de Hoyos pose une question en allemand, secouant légèrement les rangs boliviens. Sans intervenir. Altmann répond en allemand. Le journaliste s’adresse alors en français « : « n’êtes vous jamais allé à Lyon ? ». Altmann répond tranquillement, toujours en allemand, qu’il ne connaît pas cette ville. Le piège se referme. De Hoyos sait qu’il a piégé son interlocuteur, qui comprend parfaitement le français. La tension est à son comble. Le journaliste garde son calme. Il sort de sa poche une photo du résistant Jean Moulin, arrêté puis torturé sous les ordres du Boucher de Lyon. Il la tend à Altmann et lui demande s’il connaît cet homme. L’Allemand saisit la photo, mais assure qu’il ne connaît pas ce visage.

Peu importe la réponse. Le journaliste a obtenu ce qu’il recherchait : ses empreintes digitales. De Hoyos poursuit l’interview en demandant à son interlocuteur de répéter des phrases en français. « Je ne suis pas un assassin », « je n’ai jamais torturé », « je ne suis jamais allée à la Gestapo de Lyon ».

Puis la caméra s’arrête

Lorsque le journaliste et Altmann se saluent, les autorités boliviennes sentent que quelque chose leur a échappé. Ils réquisitionnent les bobines du film. Le caméraman, dans un éclair de vivacité, leur donne deux bobines, vierges. « C’est là que je prends les affaires en main, parce que je me rends compte que c’est de la dynamite! » explique le caméraman à RTS.

Celles qui contiennent les images de l’interview ont discrètement été glissées au consul de France avec ordre de rejoindre l’ambassade de France au plus vite.

Ladislas de Hoyos dit que c’est lui-même qui a ramené les bobines à l’ambassade. Un point discordant qui en dit beaucoup sur la confusion et l’état de stress qui habitent l’équipe à cet instant. Celle-ci se retrouvera rapidement au grand complet à l’ambassade de France, située tout près du bâtiment où a eu lieu l’interview. Une fois à l’abri, Ladislas de Hoyos se fait servir un verre de whisky, le boit d’un trait et éclate en sanglots. Il tient le scoop de sa vie.

Ladislas de Hoyos, l’homme qui a permis l’arrestation du Boucher de Lyon. Source : Quinones Marcos

Il faudra attendre plus de dix ans avant que Klaus Barbie soit extradé de Bolivie. Il sera livré à la France en février 1983 puis jugé à Lyon en 1987. Condamné à perpétuité pour crime contre l’humanité, il décède en 1991.

Claire Boubert