Quand invention politique et création artistique se rencontrent, cela donne Regards. Avec un comité de rédaction composé d’écrivains et de journalistes, proches ou membres du PCF, il devient l’illustré de la classe ouvrière. Fort de ses engagements et de sa modernité, son parcours reste compliqué.
C’est en 1931 que naît l’un des plus anciens titres de la presse française. Intitulé d’abord Regards sur le monde du travail, puis simplement Regards 2 ans plus tard. Moderne et avant-gardiste, il aborde aisément des sujets de fond : le féminisme dans les années 1930, le quotidien des ouvriers du Nord, la menace portée par les ligues fascistes dans le pays. Il n’est alors pas question de réalisme socialiste dans ses pages, mais bien de modernité. Bien que son histoire, indissociable de celle de la gauche, le pousse parfois lui reproche-t-on, à trop « suivre la ligne » dictée par le PCF.
La photographie engagée
En 1933, la formule est reprise par Léon Moussinac, critique et théoricien du cinéma. Dans les articles ou photographies, le magazine vibre au battement du monde et au quotidien des hommes et des femmes. Avant-gardiste aussi dans son choix pour la photographie. Oui, bien avant Life (1936) ou Paris Match (1949), c’est Regards qui lance le photojournalisme dans les années d’avant-guerre. Dès lors, on y retrouve les grands photoreporters des années 1930 tels que Robert Capa et Henri CartierBresson.
Conscient de l’émergence du pouvoir de la photo, Regards expérimente, sans tarder, ses multiples possibilités. Combattre « l’image bourgeoise » et définir la « photo de classe ». Pour cela, Regards participe à la création des Amateurs Photographes Ouvriers (APO).

L’enthousiasme des grandes grèves et des manifestations de mai et juin 1936, se retrouve dans chacune des images du journal. La photographie semble en phase avec le mouvement populaire. Regards a cru en la photographie jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. L’illustré est interdit pour propagande communiste. En 1939, il interrompt sa parution avec une dernière Une : « Vive l’armée française ».
Une nouvelle page
C’est au lendemain de la Libération de la France, que Regards réapparaît. Mais la guerre froide s’impose à l’hebdomadaire, sommé de choisir son camp. Il y laissera la liberté de son ton, pour se ranger dans les rangs. On ne lui reconnaît plus ses valeurs d’avant. Le « Paris Match des pauvres », l’appelle-t-on. Il s’éteint donc, à nouveau, en 1960.
Quelques trente-cinq années plus tard, Regards va renaître de ses cendres. Sous l’impulsion du PCF, avec le communiste Henri Malberg comme directeur. En 2000, une refonte de la formule est élaborée par la nouvelle direction du journal : l’historien Roger Martelli, directeur de la rédaction, et l’architecte Catherine Tricot, rédactrice en chef. Il redevient, enfin, le journal qu’il était autrefois : investigation du monde au travers du photojournalisme, enquêtes et contributions d’intellectuels. « Journal politique, mais d’une politique moins attentive aux questions de pouvoir qu’aux questions de sens, de valeurs, de choix. Journal d’engagement, de prise de parti mais sans parti pris, sinon celui de la clarté des débats. Journal d’analyse, mais sans élitisme de forme, sans prétention à instruire », écrit Roger Martelli en septembre 2000. La renaissance. Pourtant, en 2003, à nouveau dépôt de bilan et en 2007, on le frôle encore.
Dès ses débuts, l’hebdomadaire avait toutes les cartes en main pour réussir. Oui mais voilà. Victime de contextes difficiles, d’erreurs de chacun, il est tombé plus d’une fois, mais se relève toujours. À ce jour et depuis 2012, Regards a fait sa mue, avec un site plus dynamique, un e-mensuel et un semestriel. Regards défend à jamais sa place. Une place, bien méritée.
Cidjy Pierre
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