Les sages-femmes ne se sentent pas suffisamment reconnues

Les 24, 25 et 26 Septembre, l’Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF) a appelé à la grève en réponse aux mesures jugées insuffisantes annoncées par Olivier Véran lors du Ségur sur la santé : la revalorisation de 100 euros brut par mois de leur salaire. A cette occasion, ces dernières ont signalé la mise en danger des maternités françaises au regard de la précarité de leur statut mais aussi de leurs conditions de travail.

Illustration postée sur le compte Instagram de l’ONSSF

 Comme dans beaucoup de métiers de la santé, après avoir été érigées comme les héros de la crise sanitaire, une très forte attente de reconnaissance et notamment de revalorisation salariale est revendiquée par les sages-femmes. Oubliées du Ségur de la santé, celles-ci clament en vain la nécessaire amélioration de leurs conditions de travail. Sans cette reconnaissance, l’avenir de la maïeutique est incertain et la réorientation vers d’autres professions médicales apparaît comme une porte de sortie. A suivre …

Conditions de travail des sages-femmes : bilan de l’hémorragie

En l’absence de réponse concrète de la part du gouvernement, une grève nationale est prévue ce jeudi 7 Octobre. Les sages-femmes sont pourtant reconnues par la loi comme professionnels de la santé au même titre que les médecins ou les dentistes. L’ONSFF revendique sur les réseaux sociaux « la prise en compte de leur statut médical, pour une revalorisation des salaires, pour des effectifs suffisant dans les hôpitaux et tout simplement pour la sécurité des patientes et une meilleure prise en charge des femmes, des nouveaux nés et des couples ».

Leurs conditions de travail poussent de plus en plus à se reconvertir après quelques années d’exercice : le salaire mensuel moyen de 2 426 euros est jugé trop faible par rapport au rythme de travail, le manque d’effectif et l’insuffisance de reconnaissance de leur profession en sont les principales raisons. La détérioration de la profession du fait de ces différentes variables se ressent auprès d’étudiants en maïeutique qui, malgré une volonté intrinsèque d’intégrer cette profession, abandonnent, démotivés par l’envers du décor qui s’offrent à eux lors des stages de formation. Une étude de 2018 réalisée par l’ ANESG (association nationale des étudiantes sages-femmes) a montré que 7 étudiants sur 10 présentaient des symptômes dépressifs.

Rencontre avec les sages-femmes de demain 

Afin de comprendre la réalité du métier et les difficultés rencontrées par les étudiants lors de leur apprentissage, nous avons interrogé, sur leurs ambitions mais aussi leurs inquiétudes, deux étudiantes en maïeutique : Inès, en 5è année de sage-femme à la Catho et Ellora étudiante en 4è année à l’Ecole des sage-femme de Saint-Antoine.

Comment vous êtes-vous dirigées vers des études de maïeutique ? 

I : « Assez jeune, en réalité. J’ai eu envie de devenir médecin et arrivée en début de lycée je me suis dit que 12 ans d’études c’était trop long, j’avais envie d’avoir une vie maritale jeune. J’ai eu l’occasion de faire un stage dans un hôpital : j’ai découvert le métier de sage-femme. Ce n’était même plus une question :  je trouvais ça tellement beau de voir monsieur et madame X devenir papa et maman. »

E : « Pour moi ça a toujours été une vocation. »

Au fil des années, certains de vos camarades ont-ils quitté la formation ?

E : « En 3 ans sur les quarante-sept élèves, six ont abandonné. Elles n’aimaient pas le statut de sage-femme : travailler autant pour si peu gagner… Elles se sont réorientées dans d’autres métiers de la santé. C’est le salaire qui décourage les gens, déjà que le statut d’étudiante n’est pas facile. »

I : « A l’université catholique de Lille, la promotion de sage-femme est constituée de 29 étudiants, sélectionnés sur concours. Il y en avait six qui ne voulaient pas du tout être là. Deux ont décidé d’abandonner avant de commencer. Après ça, sur les 4 ans, il y en a eu au moins quatre qui ont décidé d’arrêter. »

Dès la deuxième année, vous devez réalisé des stages notamment en maternité. Comment se passe cet apprentissage pratique ? 

I : « Il y a des hôpitaux où les sages-femmes sont très formatrices, d’autres où les étudiantes sont plus « autonomes », mais l’autonomie ce n’est pas forcément gage de qualité. L’enseignement n’est pas une histoire de bon vouloir, c’est un métier à part entière. En plus d’accompagner les parents, les sages-femmes doivent accompagner l’étudiante. Une sage-femme de 23 ans qui vient d’être diplômée doit pouvoir former une autre, ce n’est pas toujours évident. »

E : « C’est hyper formateur d’être à l’hôpital, ça nous permet d’être très vite en immersion et d’appliquer ce que l’on a vu en cours. Mais les conditions d’étudiants stagiaires sont compliquées : on est seule. Les équipes ne sont pas forcément mises au courant de notre présence. Il n’y a pas d’enseignant référent et c’est parfois compliqué de trouver une sage-femme qui a le temps de prendre des étudiantes sous son aile ou qui est enthousiaste à l’idée de nous superviser. C’est bien de faire des stages mais ce n’est pas très bien encadré. »

Après plusieurs années d’études de maïeutique et par conséquent de pratique, avez-vous l’impression que la profession de sage-femme est suffisamment reconnue par la société, par les institutions ? 

E : « Aucune personne autour de moi ne savait que je pouvais, en tant que sage-femme, réaliser un suivi gynécologique. On limite le travail de la sage-femme à celle qui accouche. Beaucoup de femmes arrivent à la maternité en pensant que c’est le médecin qui les accouche alors que ce n’est pas le cas. Chaque année, on leur donne des compétences de gynécologues, mais les salaires ne bougent pas. On nous donne plus de responsabilités mais la paye ne suit pas. »

I : « Je trouve que dans la société il y a une évolution au niveau de la reconnaissance de notre profession.  Le problème se situe au niveau des têtes pensantes où il n’y a pas assez de reconnaissance, voire aucune. On est dans une situation d’entre deux : on nous octroie des compétences médicales, on prête serment mais il n’y a pas de suivi de salaire. »

Au cours des stages est-ce que la précarité du métier de sage-femme vous a inquiété ? 

E : « Oui, le rythme me fait peur : les sages-femmes en poste travaillent tout le temps. »

I : « Un peu forcément, mais ça donne vraiment envie que ça bouge. Je ne me vois pas me dire que pendant 40 ans je vais être payée 1600 euros par mois. C’est pour cela que ça donne envie de changer les choses. Quand je vois mes amis qui sortent d’école de commerce gagnent 4000 euros par mois alors qu’on a fait le même nombre d’année d’études et qu’on a la responsabilité de personnes, on veut forcément faire évoluer nos conditions de travail et nos salaires. »

Emma Rieux-Laucat