Cent vingt-deux mille: c’était le nombre d’électeurs qui se sont inscrits sur le site internet de la primaire écologiste regroupant, en plus d’Europe Écologie Les Verts, divers partis et diverses conceptions de l’écologie politique. Nous avons rencontré deux jeunes militants de la métropole lilloise pour faire le bilan de ce scrutin historique: jamais il n’y avait eu autant d’inscrits pour une primaire verte…

C’est à la gare Saint Sauveur que nous avons réalisé cet entretien croisé entre ces deux militants: Margaux Verdonckt, maubeugeoise de naissance, étudiante en sciences politiques à Lille 2, actuellement au sein du master de journalisme à la catho ; et Octave Delepiere, de Lambersart, étudiant en éducation et candidat EELV pour le canton de Lambersart lors de la dernière élection départementale.
Quand et comment avez-vous débuté votre vie militante ?
Margaux Verdonckt: Je me suis encartée à EELV il y a deux ans, mais j’ai commencé à militer un peu avant les élections européennes (2019).
Octave Delepiere: J’ai commencé en 2018, en participant au Conseil Lillois de la Jeunesse – instance de participation pour les jeunes de 16 à 25 ans, c’est pendant les municipales de 2020 que j’ai rejoint les écologistes, dans l’équipe de M. Stéphane Baly. J’ai été moi-même dans la liste d’union de la gauche de M. Pierre-Yves Pira à Lambersart.
Pourquoi avoir rejoint EELV ?
M.V.: Pour moi c’est naturel… J’y participe « réellement » quand j’ai le temps: je préfère les think-tanks (NDA: rassemblement de chercheurs via une structure privée) aux partis parce que j’aime beaucoup les sujets techniques et la recherche. C’est cool d’être encarté donc, par défaut, ça a été EELV… C’est plus de l’utilitarisme ou de la stratégie, je n’ai pas un attachement particulier au parti. Mon attirance à l’écologie est clairement globale, scientifique et je ne me soucie pas vraiment de la politique « politicienne ».
O. D.: J’y ai été attiré comme un aimant avec les suffrages locaux, comme on l’a vu. J’ai été proche des Insoumis et de Génération.s fût un temps, de 2017 à 2019. J’appréciais leur dynamique locale donc je les ai rejoints. Je ne pense pas du tout avoir fait le mauvais choix: le parti fonctionne bien, j’admire leur démocratie interne.
Pendant la primaire, qui avez-vous soutenu et pourquoi ?
M.V.: Delphine Batho [députée des Deux-Sèvres, ancienne ministre de l’Environnement], car c’est elle qui représentait le mieux la décroissance selon moi, c’est-à-dire l’organisation de la société autour d’une baisse de la production, d’une baisse assumée du PIB. Je me suis reconnue en son programme, pas tant sa personne.
O. D.: Pour moi c’était Éric Piolle [maire de Grenoble], un homme intéressant car il était le premier à avoir un mandat exécutif local chez EELV et le seul parmi les candidats de la primaire. Le mandat de maire étant très important pour moi, je l’ai soutenu. D’autant plus qu’il a été élu au sein d’une union très large de la gauche: il a une force de consensus intéressante et utile pour une présidentielle.
La figure qui s’est imposée médiatiquement, l’outsider, c’est Sandrine Rousseau: quel a été votre opinion politique sur elle ? D’autant plus qu’elle est lilloise.
M. V.: Je vais la cancel [NDA: « dénoncer »] *rires*. J’en avais un peu rien à cirer: si elle l’avait remporté au second tour, je l’aurais soutenue, comme Piolle ou Jadot. Elle se dit « écolo radicale » donc je pourrais m’en rapprocher mais j’ai préféré Jadot, plus présidentiable. Je trouve qu’elle s’est beaucoup écartée de l’écologie: elle parle d’antiracisme, de féminisme… Elle est déjà pas mal radicale sur l’écologie, si en plus elle l’est tout autant sur des sujets aussi sensibles, ça ne passe pas. Je suis d’accord avec ces idées là-aussi, mais stratégiquement parlant, pour une présidentielle ç’aurait été compliqué pour elle.
O. D.: Sur le plan national, j’ai été vraiment heureux de la voir réapparaître [NDA: elle avait quitté la vie politique à la suite de l’affaire Baupin dont elle avait été une des victimes]. Malgré les caricatures à son encontre, je ne l’ai pas trouvée si radicale que ça. Aux journées d’été de l’écologie à Poitiers en Août, j’ai pu lui dire que j’étais drôlement fier qu’elle fasse partie de notre famille politique. Son discours était important, il fallait bien que quelqu’un ait ce discours « intersectionnel » [antiraciste, féministe, anti-discrimination] au niveau national. Elle a réussi à trouvé le « buzz » là où il se cachait: c’était sa stratégie. Localement, par contre: je n’apprécie pas du tout son inaction en tant que vice-présidente de l’Université de Lille… J’ai été marqué et très surpris par son score pendant cette primaire, il faut le dire. J’aurais volontiers milité pour elle si elle avait gagné mais il aurait peut-être fallu qu’elle « arrondisse les angles ».
La frange plus militante, plus à gauche du parti a été plutôt critique de Yannick Jadot, trop modéré, trop consensuel. Le pensez-vous à la hauteur ?
O. D.: Je ne trouve pas cette critique légitime étant donné que tous les candidats ont basé leur programme sur la plateforme programmative en ligne du parti ! L’approche n’est pas la même : il veut rassembler davantage et se voit donc dans une position où il peut très bien faire des concessions. Je ne le vois pas pour autant en « Macron vert » ou un libéral en couverture. Au parlement européen, il combat le lobbying, l’élevage industriel, etc. Il serait hypocrite de ne pas le soutenir malgré ces divergences.
M. V.: C’est vrai qu’on peut le juger un peu « mou »: c’est parce qu’il est très pragmatique, il veut être conciliant à gauche et à droite pour accéder à la présidence. Pour moi c’est une fausse critique, c’est la forme qui est visée ici, pas tant le fond.
Peut-il être élu ? A-t-il ses chances ?
M. V.: Non. Mais j’ai espoir quand même.
O. D.: Je pense qu’il a ses chances: le parti prend de l’ampleur. On l’a bien vu aux européennes et aux départementales puisqu’on a doublé le nombre de nos conseillers départementaux. Je sais que l’électorat des élections locales n’est pas le même que celui des élections présidentielles, mais comme on a un ancrage local concret, comme des maires, Jadot pourra être accueilli comme il se doit durant ses meetings ! On pourrait compter sur une division de l’électorat conservateur entre Bertrand et Macron, l’électorat d’extrême-droite entre Le Pen et, hypothétiquement, Zemmour. Pour ce faire on devrait aussi espérer sur le retrait d’une candidature socialiste. Mélenchon, on ne pourra pas le convaincre mais idéalement il faudrait compter sur son électorat…
Qu’avez-vous pensé de la tenue de la primaire et de la campagne ?
M. V.: Le fait que ça se soit organisé sur internet était plutôt problématique. Pour ma part j’ai oublié de voter au second tour ! Je sortais de cours quand j’ai vu les résultats finaux… Les débats étaient de qualité par-rapport à ceux des primaires socialistes et LR de 2016. J’ai géré la communication numérique de la campagne de Batho et je dois admettre que la communication de la « team Rousseau » était très efficace, notamment sur Twitter. Il faut dire qu’étant donné que l’élection se déroulait sur internet, l’électorat est par principe relativement à l’aise numériquement: je pense que c’est l’omniprésence de Rousseau et ses soutiens sur Twitter qui leur a permis de se hisser en seconde position. L’électorat écolo étant plutôt jeune, le choix du numérique était naturel je pense… Je suis satisfaite du résultat de Delphine Batho malgré tout.
O. D.: Que dire… Les tenues étaient sympas pendant les débats *rires*. C’était un primaire sereine au climat sympathique. L’avantage c’est qu’on a fait la rentrée politique en septembre, c’est bien qu’on ait pris plus de place dans les médias. Piolle était à 34 voix de la troisième position, un véritable mouchoir de poche ! L’avantage c’est que Jadot n’a pas gagné à 70-80%, ça le pousse à l’humilité, il fera un pas vers Rousseau, Batho et Piolle et surtout leurs thématiques [NDA: depuis, Yannick Jadot a accueilli ses trois ex-adversaires dans son équipe de campagne].
Une union de la gauche est-elle toujours possible ?
M.V.: Étant donné que j’estime que la situation politique française est très floue, que je constate que le clivage gauche-droite s’est évaporé, je ne pense pas que ce soit l’objectif aujourd’hui… La gauche n’est pas dépassée pour autant, mais je ne m’implique vraiment pas dans la gauche partisane.
O.D.: À l’heure actuelle, il y a deux gauche irréconciliables: les radicaux et modérés. Il n’est pas impossible que certains se retirent puisque l’écologie est en train de devenir la force motrice de la gauche. Le PS s’est perverti au niveau idéologique: il est tombé dans le piège des conservateurs et de l’extrême-droite avec Manuel Valls, la déchéance de nationalité, Cambadélis qui fustige le « wokisme », Montebourg qui excuse la théorie profondément raciste du Grand Remplacement… Mélenchon, lui, se marginalise également.
Pour vous, c’est quoi la suite pour votre militantisme ?
M. V.: Je ne désespère pas de rejoindre un jour le Shift Project, think tank pour discuter et étudier les enjeux climatiques à un niveau spécialisé et scientifique. Je continuerai à faire de la comm’ si on a besoin de quelqu’un. Pour l’instant je vais surtout poster sur mes neurchis favoris sur Facebook: l’humour c’est pratique pour diffuser des idées, c’est un canal super puissant…
O. D.: Je vais partir en campagne pour Yannick évidemment et dans le même temps je vais élargir mon réseau à Lambersart pour EELV. On doit aussi commencer à réfléchir aux législatives. 2021 va être une année très riche. Propos recueillis par Ferdinand Chenot
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