#MeTooTheatre : « Il m’a violé, vous l’applaudissez » 

En réaction au mouvement #MeTooTheatre, environ 300 personnes se sont retrouvées samedi 16 octobre à Paris. Un seul mot d’ordre ? Briser l’omerta sur les agressions sexuelles dans le milieu du spectacle et appeler le ministère de la Culture à prendre des mesures de lutte concrètes. Vers de douleur, vers d’espoir, reportage au coeur du cortège. 

Un silence. Celui porté par des milliers de comédiennes pendant des années. Ce même silence place Royale à Paris. Devant nous, la Comédie française, à deux pas le ministère de la Culture. Samedi 16 octobre, il est onze heures. Louise* et Léa* finissent leur cigarette, toujours en silence. La première court après les heures pour décrocher son statut d’intermittente du spectacle, la seconde a quitté la profession. Elles ont 25 ans et nombre de désillusions au compteur. « La réalité du monde du théâtre est loin de mes rêves d’enfants, débute Louise, J’ai refusé de coucher avec un producteur parisien, depuis je peine à décrocher des rôles. » Léa acquiesce : « J’ai été agressée sexuellement par un professeur, j’ai enchainé les castings où l’on me demandait de me mettre nue, j’ai refusé des avances d’un metteur en scène qui m’a black-listée dans le milieu… Alors, j’ai arrêté avant d’y laisser ma peau. » Le silence est rompu. L’instant des confidences bref. Louise et Léa se mêlent au cortège : plus de 300 personnes sont rassemblées pour dénoncer les viols et violences sexuelles sur les planches. Des milliers de mots s’entrechoquent pour briser le silence. Enfin, le théâtre français a son #MeToo. 

En coulisse, violences sexuelles et omerta garantie !

« Mort à l’omerta » : Marie Coquille-Chambel, critique de théâtre, est la première à prendre le micro. C’est elle qui a fait éclater la bombe le 7 octobre dernier. Sous sa plume, le hastag apparait pour la première fois sur Twitter. Elle écrit avoir « été violée par un comédien de la Comédie française pendant le premier confinement », alors qu’elle « faisait un malaise », précise-t-elle dans son tweet. La déflagration est importante : en quelques heures, des milliers de personnes déversent des histoires de viols, d’agressions ou encore de harcèlement dont elles disent, elles aussi, avoir été victimes dans le milieu du théâtre. La première étape est presque franchie, celle de la libération de la parole essentielle. « On est rarement entendues par le pouvoir. Pour avancer, il faut trouver des solutions ensemble et mettre en place de vraies mesures. », revendique Sephora Haymann, militante du collectif #MeTooThéâtre et actrice. 

Sur la scène d’un camion rouge vif, face au Palais Royal, deux militantes égrènent les propositions visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans le théâtre, issues d’une tribune publiée mercredi dernier dans Libération. Ouvrir une enquête quantitative et qualitative sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu, nommer des référents formés sur ces questions, créer une charte déontologique, travailler sur la parité à la direction des institutions, dans les programmations… Signée par près de 1.500 personnalités publiques, lire cette tribune à cet endroit précis est un symbole. Une réaction du ministère de la Culture, à quelques mètres, est attendue par les militantes. « Il faut mettre fin à l’impunité et c’est en travaillant ensemble qu’on y arrivera, poursuit Sephora Haymman, Pour l’instant, ce qu’on voit, c’est que les agresseurs continuent à travailler et que les victimes sont poussées à quitter le milieu. » Louise et Léa soupirent à l’unisson. Quelques applaudissements perturbent une émotion immense. 

© CHRISTOPHE PETIT TESSON / EPA

« Ce n’est pas une chasse aux sorcières, c’est un état des lieux des humiliations »

« Il m’a violé, vous l’applaudissez », « violeur connu, violeur quand même », lit-on sur les pancartes surplombant la foule. « Le théâtre, ce n’est pas seulement ce qu’on voit sur scène, murmure Léa, il y a aussi les coulisses. » Durant deux heures, un semblant de tragédie greco-antique se noue. Des voix émues, enrouées, abîmées, habitées déclament leur colère, mais aussi leur espoir. Frêle et tremblante, une comédienne conclut le premier acte : « Aujourd’hui, on ne se tait plus, aujourd’hui on parle. Ce n’est pas une chasse aux sorcières, c’est un état des lieux des humiliations. » 

Ces humiliations ne datent pas d’hier : plusieurs affaires ont chahuté le microcosme du théâtre français ces dernières années. Une enquête préliminaire a été ouverte fin septembre après qu’une femme a accusé Michel Didym, metteur en scène et ancien directeur du théâtre de la Manufacture de Nancy, de l’avoir violée. Sa parole en a libéré une dizaine d’autres qui accusent le même homme de harcèlement et de violences sexuelles. En 2019, le metteur en scène Jean-Pierre Baro a quitté la direction du Théâtre des Quartiers d’Ivry (Val-de-Marne). Éclaboussé par une affaire de viol, le personnel de l’établissement avait appelé à sa démission. En 2020, l’ancien professeur de théâtre à l’université de Besançon, Guillaume Dujardin, a été condamné à quatre ans de prison, dont deux avec sursis et son procès en appel est toujours en cours. Au printemps dernier, il y a eu aussi les manifestations devant les locaux du Cours Florent à Paris. Élèves-comédiens dénonçaient le « silence » de la célèbre école privée de théâtre face à des abus présumés de certains professeurs. « Toutes les écoles de théâtre cachent des affaires de viols et violences sexuelles, assure Louise, membre de l’association Les Callisto, créée l’année dernière pour recueillir la parole des victimes de violences en école de théâtre. « On a reçu plusieurs centaines de témoignages concernant une dizaine d’écoles différentes », confie-t-elle. 

Il est 13 heures, place au dénouement. Sur scène, visage masqué, la jeune femme qui a déposé plainte contre Michel Didym, cite le texte de Monique Wittig : « Nous devons reprendre le théâtre. À nous de jouer. » Des applaudissements. Sur les joues de Louise et Léa, des larmes. « Enfin… », s’exclame la première. La seconde complète : « on respire mieux, presque libérées d’un poids. Car nous ne sommes plus seules ». Elles ne l’ont jamais étés, seulement, elles l’ignoraient… Le combat n’est pas fini, c’est seulement l’entracte. La suite, au prochain acte. 

Marie Chéreau

* Par soucis d’anonymat, les prénoms ont été modifiés.