Calais : un prêtre et deux militants font une grève de la faim

Depuis le lundi 11 octobre, trois militants ont cessé de s’alimenter pour dénoncer les conditions de vie déplorables des exilés et le dialogue « inexistant » entre les autorités et les associations non mandatées par l’Etat. Ils ont élu domicile dans l’église Saint-Pierre de la place Crèvecoeur.

« Une vingtaine de personnes viennent nous voir chaque jour, pour nous apporter du thé, de la soupe, des livres… Mais surtout beaucoup de soutien. Même Stéphane Ravacley* nous a appelé », raconte Ludovic Holbein, l’un des trois grévistes de la faim. Accompagné de sa compagne, Anaïs Vogel, et de l’aumônier du Secours catholique, Philippe Demeestère, ils portent trois revendications. La première, la « suspension des expulsions quotidiennes et des démantèlements de campements, durant la trêve hivernale ». La seconde, « l’arrêt sans condition de toute confiscation des tentes et effets personnels des personnes exilées ». Enfin, « l’ouverture d’un dialogue citoyen raisonné entre autorités publiques et associations non-mandatées par l’Etat, sur l’ouverture et la localisation de points de distribution de tout bien nécessaires au maintien de la santé des personnes exilées ».

Un militantisme imprévu

Tous, sont devenus militants au contact de Calais, point névralgique de la migration vers l’Angleterre. Philippe Demeestère, religieux jésuite de 72 ans, a décidé d’habiter Calais en 2016 pour venir en aide aux exilés. Philippe est originaire de Nancy où il venait en aide, pendant 40 ans, aux personnes sans domicile fixe. Alors qu’il a passé sa vie à aider les autres et à se confronter aux inégalités, « C’est à Calais que je me suis politisé », explique-t-il. La mort de Yasser, jeune Soudanais de 20 ans au matin du 28 septembre, en tentant de monter dans un camion en direction de l’Angleterre, a décidé ces trois militants à faire une action. « Le jour de sa mort, les forces de l’ordre ont procédé à l’évacuation du camps où il était avec ses amis, la police a tout pris, même les tentes. Le harcèlement dont souffrent les exilés depuis la fin de l’été, nous confronte à notre impuissance. Il y a des évacuations tous les jours, ils sont à bout et ne comprennent pas cet acharnement. » souffle Ludovic, attristé par cette situation.

Cet « acharnement » s’explique par une volonté politique qui date de juin 2017. Lors d’une visite à Calais, le ministre de l’intérieur d’alors, Gérard Collomb, avait réaffirmé son refus de voir se créer des « points de fixation » pour les migrants en France. « Il n’y aura pas de centre ouvert ici pour les migrants car à chaque fois qu’on a construit un centre, il y a eu appel d’air ».

L’idée de faire une grève de la faim émerge et se concrétise grâce à l’accord de Pierre Poitevin, curé de Calais, qui met à disposition l’église Saint-Pierre aux militants. C’est la première fois qu’Anaïs, Ludovic et Philippe font une grève de la faim, pour éviter tout risque, deux médecins se relaient tous les jours pour surveiller leur état de santé. Selon Ludovic, d’autres personnes veillent sur eux « les renseignements généraux passent tous les jours ».

Réponse du préfet

Contactée, la préfecture du Pas-de-Calais assure « regretter la méthode employée » par les trois militants et met en avant le dispositif humanitaire de Calais (mise à l’abri, accès aux soins, distributions de repas, accès à l’eau et aux douches), qui représente « 20 millions d’euros par an, financés exclusivement par l’Etat ». Selon elle, « le dialogue avec les associations n’a jamais été rompu. Des réunions sont périodiquement organisées, avec les associations, à la sous-préfecture. Une nouvelle rencontre aura lieu prochainement. »

Une histoire qui bégaie

La ville de Calais et l’immigration ont un destin commun depuis les accords du Touquet. Signé en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, le texte prévoit le renforcement des contrôles aux frontières et le déplacement de la frontière britannique de Douvres à Calais.

« En vertu de ce décret, Paris ne peut donc pas légalement laisser les migrants traverser la Manche. Et les personnes s’étant vu refuser l’accès au territoire anglais doivent de fait rester en France » peut-on lire sur le site d’Infomigrants. Pour rendre cette frontière hermétique, le Royaume-Uni finance le dispositif français, ce qui est source de tension entre les deux pays. La dernière en date remonte à l’annonce de la ministre de l’intérieur britannique Priti Patel, qui, le 8 septembre, a menacé la France de ne pas lui verser les 62,7 millions d’euros promis fin juillet. La condition, arrêter 75% des migrants qui tentent de rejoindre les côtes anglaises illégalement par bateau.

Selon le décompte de l’agence de presse britannique PA, plus de 17 000 migrants ont réussi depuis le début de l’année à faire la traversée de la Manche jusqu’en Angleterre, c’est à dire plus du double que sur toute l’année 2020. Lors de sa venue à Loon-Plage le 9 octobre, Gérald Darmanin avait appelé le gouvernement britannique à « tenir sa promesse », mais également négocier avec l’Union européenne et Londres un traité « qui nous lie sur les questions migratoires ». Le 11 octobre le gouvernement britannique rassure et assure que l’argent promis sera remis à la France « au cours des prochaines semaines » explique Damian Hinds, le secrétaire d’Etat britannique chargé de l’intérieur.

Lloyd Lefebvre