Etoile bipolaire: l’association lilloise qui lève le voile sur la bipolarité

Crée en 2008, Etoile bipolaire est une association qui informe et vient en aide aux personnes atteintes de troubles bipolaires grâce à des groupes de parole qui se réunissent 2 à 3 fois par mois à la maison des associations de Lille. L’objectif ? Ecoute, partage et entraide pour une meilleure appréhension de cette maladie encore trop incomprise.

Partager son expérience, exprimer ses craintes ou encore s’affranchir du regard des autres sont autant de raisons pour lesquelles les personnes atteintes de troubles bipolaires peuvent se tourner vers cette association. Avec des rencontres régulières, les malades peuvent venir échanger librement avec les autres adhérents et les membres de l’association, eux aussi bipolaires, sur les problèmes et les impacts de la maladie dans leur vie quotidienne. Ces groupes de parole, au-delà du soutien qu’ils apportent, permettent surtout à ces personnes de venir accompagnés de leurs proches. Cette présence peut s’avérer être extrêmement bénéfique, car les personnes bipolaires le savent, le flou autour de la maladie entraîne bien souvent une stigmatisation et la peur d’être incompris. Afin d’apporter un éclairage sur la bipolarité et de mieux comprendre les actions d’Etoile bipolaire, nous avons rencontré Jérémie, vice-président de l’association depuis 2015.

Mais d’abord la bipolarité, qu’est-ce que c’est ?

La bipolarité est une maladie psychique qui se caractérise par une variation anormale de l’humeur avec une alternance d’épisodes dépressifs et maniaques. Ces épisodes sont plus ou moins longs et récurrents en fonction de chaque malade et du type de bipolarité (il en existe 5). L’épisode dépressif se manifeste entre autres par une fatigue, une perte d’énergie ou encore une perte de l’estime de soi avec souvent, des idées suicidaires. L’épisode maniaque lui, se manifeste par une agitation physique, une augmentation de l’activité et souvent par une perte de sommeil. La manie peut s’avérer être dangereuse car elle s’accompagne souvent d’un sentiment de surpuissance, d’invincibilité qui peut amener à adopter des comportements dangereux car immesurés.

Plusieurs facteurs peuvent déclencher des troubles bipolaires : des expériences de l’enfance refoulées, des évènements de vie traumatisants, un stress intense et dont les effets peuvent être amplifiés par un terrain psychologique ou génétique favorable. C’est une maladie dont on ne guérit pas mais que les traitements médicamenteux et la prise en charge thérapeutique permettent de stabiliser.

Etoile bipolaire: libérer la parole

 Nous avons rencontré Jérémie, 34 ans, vice-président de l’association et qui a été lui-même diagnostiqué bipolaire de type 1 à la suite d’un épisode « maniaque délirant » il y a 10 ans. Anciennement professeur de philosophie, Jérémie a d’abord intégré l’association comme adhérent avant de faire le choix de devenir bénévole pour aider les personnes qui, comme lui, avaient un besoin de comprendre et de cerner la maladie après l’annonce du diagnostic.

Il rencontre depuis des années maintenant des personnes atteintes de troubles bipolaires, de tout âge, hommes et femmes lors de ces groupes de parole. Si l’association se donne pour mission de permettre l’échange entre les personnes atteintes de troubles bipolaires avec par exemple des projections de films (Les Intranquilles, Infinitely Polar Bear), elle permet aussi d’apporter un soutien aux conjoints et aux proches qui se retrouvent souvent démunis face à une maladie qu’ils ne connaissent pas. Cette méconnaissance entraîne souvent des ruptures au sein du cercle familial ou social et accroît la tendance à l’isolement.

F.T : Les proches sont conviés aux groupes de parole, est-ce parce que vous avez remarqué qu’il y avait une stigmatisation et une incompréhension autour de la maladie ? Comment s’incarne-t-elle et se manifeste-t-elle dans le quotidien des personnes atteintes de troubles bipolaires ?

Jérémie :  Il y a une stigmatisation bien réelle de la maladie, telle qu’en témoignent beaucoup de personnes confrontées au marché du travail. Il arrive – heureusement – que ce soit bien accepté (ça a été mon cas lorsque j’ai décidé d’en parler), d’autant que la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) qui peut être liée à cette pathologie peut favoriser le recrutement, mais une grande partie des bipolaires que j’ai rencontrés cachaient leur maladie.

Cette stigmatisation est liée à l’incompréhension mais j’utiliserai plutôt ce dernier terme pour les relations sociales : famille, amis… Cela donne souvent de la « minimisation » (« arrête de prendre des médicaments, ça ne sert à rien », « fais un petit effort ! ») et explique sans doute d’autre part les ruptures, sentimentales ou amicales, dont j’ai aussi souvent entendu parler en groupe de paroles, la maladie dans ses phases maniaques peut faire peur et engendre souvent des conflits liés à des comportements déplacés.

F.T : Aujourd’hui il est devenu monnaie courante d’entendre « il est vraiment bipolaire celui-ci ! », comme si on reléguait cette maladie mentale au simple fait d’être lunatique par exemple. Pensez-vous que ces abus de langage contribuent à la stigmatisation de la maladie et comment faire pour lutter contre cette méconnaissance ?

Jérémie : Le mot bipolaire est en effet de plus en plus employé à tort et à travers, comme avant lui le terme de schizophrène. Au fond cela pourrait entraîner un processus de déstigmatisation : la bipolarité deviendrait un fait banal, comme la réalité que désigne le mot lunatique que vous évoquiez. Mais cela ne serait valable que dans des situations sociales où cela serait source de malentendu, la réalité du vécu en serait niée. Et dans la situation importante que j’évoquais, le fait de trouver un travail, je ne pense pas qu’un employeur qui serait au courant se dira « ah oui, il est un peu lunatique ». Au fond, à part le fait que ce soit agaçant, je ne mesure pas à quel point cet abus de langage est problématique.

Pour lutter contre la méconnaissance du trouble il faut informer mais au fond aujourd’hui tout le monde peut avoir l’information essentielle en deux clics. Lorsque c’est important – par exemple, dans mon cas, si je veux l’expliquer à quelqu’un de proche – il suffit de donner les principaux éléments, assez simples au fond : variations extrêmes de l’humeur de la manie à la dépression, maladie dont on ne guérit pas mais qui se stabilise, nécessité quasi-systématique de prendre un traitement à vie etc. Je ne sais pas à quel point il est nécessaire d’informer le grand public, après tout on ne peut pas connaître toutes les maladies qu’on serait susceptibles de rencontrer un jour chez nous ou chez d’autres, il n’en reste pas moins que les quelques personnes qui seront concernées par la maladie psychique auraient probablement à gagner à en avoir une idée. Il y aurait d’ailleurs peut-être de la prévention psychopathologique à faire dans les collèges ou les lycées, il semble par exemple que la consommation de haschich à l’adolescence soit étroitement corrélée avec une partie des schizophrénies : je ne sais pas s’il y a de tels préalables à la bipolarité, mais une intervention globale d’une ou deux heures à propos de la santé psychique sur une scolarité pourrait peut-être être positive.

F.T : La présence des proches d’une personne atteinte de troubles bipolaires semble donc être une étape importante dans ce processus d’appréhension de la maladie et de compréhension de la réalité de ce que vit une personne bipolaire. Que diriez-vous à quelqu’un qui vient d’apprendre qu’un de ses proches est bipolaire ?

Jérémie : Je lui conseillerais d’être un peu patient, je lui dirai qu’il faut un certain moment pour se remettre, qu’il est primordial d’aider la personne proche à avoir un bon suivi psychiatrique, voire un suivi psychologique, et surtout lui conseiller de bien suivre son traitement, l’aider éventuellement à avoir une bonne hygiène de vie (à des degrés divers selon le lien : repas, sport…). Même si chacun décide de ce qu’il peut accepter ou pardonner, je prônerais une certaine indulgence pour ce qui peut arriver lors des manies si la personne s’en excuse en tout cas, et de la patience, donc, lors des dépressions. Il faut parfois accepter qu’on ne puisse rien faire d’autre qu’attendre.

Si vous ou l’un de vos proches est atteint de troubles bipolaires et que vous ressentez le besoin de comprendre et d’en parler, n’hésitez pas à contacter Etoile bipolaire. Le lien vers le site juste ici :

http://etoilebipolaire.nordblogs.com/

Fleur Tirloy