Lauréat du prix Première Plume (Les Furets du Nord) en septembre dernier, Alain Mascaro bouscule les âmes avec son premier roman, Avant que le monde ne se ferme. Décryptage d’un récit où une valse poético-lyrique entre l’horreur et l’humain ne laisse pas le lecteur indemne.
Entre deux errances, pourquoi ne pas ouvrir un livre ? Faire une pause sur le présent, littérairement ivre. Avant que le monde ne se ferme… Ce titre a quelque chose d’effrayant, cet écrit bousculerait-il la notion de liberté du monde d’avant ? Couverture bleue, des pages d’un blanc livide et la première phrase signe un saut dans le vide. « Tout commença dans la steppe, dans le cercle des regards qui crépitaient avec le feu de camp. »
Porajmos, génocide tzigane
La mort omniprésente, et un récit familial à en avoir le vertige. Il est une fois Anton, un homme des routes et avec les chevaux, un prodige. Il a grandi dans un cirque au coeur des steppes d’Asie. Jag le violoniste, Johan, le prophète du malheur, Svetan, le dresseur de fauves, Simza, l’ancienne trapéziste ou encore Katia, une orpheline dénichée au détour d’un fossé, puis les enfants des enfants des enfants, tous élevés dans la tradition d’une vie de circassien et de liberté… Le clan Torvath, à l’infini, se déplace au gré de ses fantaisies.
Au fil des mots de l’auteur, Alain Mascaro, il est un voyage en Europe de l’Est. On oublie Paris, la France et le reste. Des turbulences. Le vent tourne. Mais le cirque Torvath avance. À l’horizon, le péril nazi. Les saltimbanques sont parqués dans le ghetto de Lodz, et c’est la fin de milliers de vies. Le Porajmos, triste leitmotiv, un temps ancien, dramatiquement bousculé : le génocide tzigane et les grands oubliés de l’histoire du plus grand crime contre l’humanité.
La faucheuse et sa valse poétique…
Rescapé, Anton est le seul. Il doit sa survie au hasard de rencontres face à l’horreur qui se construit tel un puzzle. Son sursaut de vie, il le trouve dans le souvenir incandescent de la mystérieuse Nadia, dans le soutien du médecin juif Simon, puis de la famille Wittgenstein qui le recueille aux États-Unis. Anton est dépositaire de la mémoire des siens. Mais les Tziganes sont un peuple du présent certain. Aucune trace écrite ou historien reconnu, seulement des légendes et coutumes urbaines, héritage oral et incertain. Mais ce fils du vent remonte un cirque cosmopolite et à la misère, il sera condamné. Après le génocide et l’amputation de la fraternité, Anton Torvath, comme des générations avant lui, veut faire renaitre un soupçon de rire malgré le manque de moyen et d’humanité.
Avant que le monde ne se ferme est une dernière valse poétique, une ode à la liberté, dénonçant la folie des hommes, dans un style cliniquement vrai, sensible, une prose éclectique parfois presque lyrique. Un vertige sur une époque et ses effrayants vestiges où le fantôme d’Anton erre dans son histoire introspective. Ce roman expose la peur de la mort, une névrose portée par les trois quarts de l’humanité. Redouter le néant, la solitude, l’oubli, la douleur et de ne plus être aimé. Pour l’éternité, être oubliée. Ce roman dénonce la confrontation incessante de la mort à la vie. Une réalité : une vie humaine, c’est si minime dans notre société. Du génocide tzigane, il n’y a ni sépulture, ni lieux de recueillement, seul un souvenir lancinant et vacillant.
Alain Mascaro, Première Plume aiguisée par la vie
Éphémères, balayées par le vent… Telles sont les règles de noblesse du peuple tzigane : vivre sans regret, dévoué à l’aventure, à leur communauté de miséreux survivants. Chez eux, il est une croyance singulière, le livre débute par ce concept d’immortalité tentaculaire. Lorsqu’Anton nait, son grand-père dans la journée est décédé : « Une vie pour une vie, tel était le tribut à payer depuis toujours. Dès qu’une âme s’envolait, une autre se posait dans le creuset d’une mère, sous l’arbre d’un ventre rond comme un monde. » Dans le ghetto, la magie de l’éternité s’éteint, par charrettes immenses, les corps décharnés, déshumanisés sont évacués. Ils ne sont plus. « La vie n’était pas tendre. La mort encore moins. », assure Anton. L’humiliation, les sévices, l’apothéose de la cruauté humaine étouffent les légendes du vent et de la vie. Est-il possible de clore ce chapitre une fois l’ouvrage fini ? La morale raisonne de plus belle : canaliser sa peur sur la route. Et dans le monde entier, face aux opportunités de vie, confronter ses doutes.
Alain Mascaro signe un premier roman poignant, aux images fortes. Dans sa poitrine, une plaie béante. Une soif de vivre, et avec urgence, user son existence avant d’être dépassée par les forces divines surperpuissantes. Professeur de lettres au lycée Albert Londres à Vichy durant trente-ans, en 2019, il part à la conquête de l’Europe de l’Est, de l’Asie, et d’autres mystères existants. Messager de l’espoir et de la relativité, publié début septembre, il est déjà lauréat du prix Première Plume et sollicité dans l’hexagone entier. Avant que le monde ne se ferme est une expérience littéraire unique : une métamorphose de la nostalgie qui adoucit l’hiver et son temps gris. Un temps gris, celui du chagrin. Mais il est aussi celui de l’instant, qui prépare à demain. Pour Alain Mascaro, l’homme est un animal sensible, fragile, fugace, et totalement désarmé, confronté à la tempête de la vie. D’un siècle, d’une époque, d’un passé plus difficile à assumer et oublier. Un homme errant dans l’instant présent infini.
Marie Chéreau
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