Vers une civilisation de l’algorithme ?

Le scientifique Pierre Giorgini engage ici une analyse éthique avec le physicien et théologien Thierry Magnin : il s’agit d’éclairer l’avènement probable de ce qu’ils désignent comme une « civilisation algorithmique » et portent ainsi un regard chrétien sur les changements numériques en cours afin d’éviter l’avènement entre « technophiles » et « technophobes ».

Dans une telle civilisation, le vrai et le juste ne se démontrent plus mais s’imposent par les statistiques des « machines intelligentes et apprenantes » qui les ont révélés. La question clé est alors de savoir quelle place accorder à l’homme dans un tel système. Les datas domineront-elles l’homme ou resteront-elles un outil à son service ? Comment la complexité du réelle sera-elle prise en charge. Ce livre est une plongée au cœur de ce qui pourrait être un changement majeur de civilisation… Rencontre avec Pierre Giorgini.

Qu’est-ce qu’une civilisation de l’algorithme ?

La civilisation de l’algorithme désigne le fait que les mentalités sont transformées par le numérique avec des machines dites « apprenantes » par l’« intelligence » artificielle. Le rapport au réel et à la vérité prédite s’en trouvent changé. C’est aussi notre rapport aux évènements, aux autres et au sens de la vie qui en est modifié. Des outils aussi formidables ne sont pas sans danger, notamment par ce qu’ils peuvent générer comme fantasmes de toute-puissance. La vérité, contrairement à ce que pensent certains, notamment parmi les courants transhumanistes, ne sort pas des algorithmes. L’enjeu est donc de rester maître de l’IA autres algorithmes sans y renoncer.

Thierry Magnin lors de la présentation du livre à l’Université Catholique de Lille. @claireboubert

Le livre permet de réfléchir sur les rapports de l’importance du numérique, au vivant, à l’humain, à la spiritualité. Que cela signifie-t-il concrètement ?

Le numérique a pris une place considérable dans les sciences allant jusqu’à transformer radicalement notre rapport au réel et à la vérité. Cela a de profondes conséquences éthiques alors qu’un nouveau seuil va être franchi avec l’intelligence artificielle et le traitement des big data. La défiance qui existe sur ces sujets ne doit-elle pas être levée au vu des bénéfices que ces techniques peuvent nous offrir ? Quelle doit-être l’éthique du numérique ? Et surtout, l’éthique chrétienne n’a-t-elle pas un rôle clé à jouer sur ces sujets ? C’est une véritable révolution de la connaissance.

Vous proposez sept contreforts éthiques issus de la pensée sociale chrétienne : quels sont-ils ?

Contre le risque de déshumanisation par le numérique, il y a la promotion de l’humain en tant qu’être biologique, psychosocial, relationnel et spirituel et l’unicité de l’humain comme personne humaine et comme groupe. Nous soulignons aussi l’importance d’une commune vigilance face au numérique, de la participation, point clé de la doctrine sociale de l’Église, et du libre-arbitre en tant que base de la construction sociale. S’ajoutent à cela la prise en compte des plus démunis, pierre d’angle de l’éthique avec un regard chrétien, et de la santé à laquelle le numérique peut largement contribuer s’il demeure à sa place d’outil contrôlé par l’homme. Il y a, encore, la sauvegarde de la maison commune tant le numérique est énergivore. Au-delà des principes de la doctrine sociale de l’Eglise, nous alertons, par ailleurs, sur la difficulté que nous avons aujourd’hui à nous poser la question du mal. Sans résoudre toutes les difficultés, nous donnons modestement dans ce livre des sous-bassement permettant à chacun, chrétien ou non, de creuser des pistes. 

Quelles ont été vos motivations pour écrire ce livre ?

Ce livre s’addresse à un public averti. Encore une fois, nous voulons lancer l’alerte sans être dans la technophobie, et surtout proposer les quelques contreforts. Il faut se prémunir des algorithmes biens, bons et justes. Le livre invite également aux questionnements pour discerner le bien (c’est à dire les opportunités) et les risques que cela pourrait entrainer.

Claire Boubert