Sacré sur notre territoire, le repas du réveillon de Noël n’est pas une coutume universelle. Pour les Japonais, fêter la nativité est synonyme de poulet. De poulet frit de l’enseigne américaine de fast-food KFC. À la croisée de l’American way of life, d’une religion mineure et d’un coup marketing historique, le restaurant du Colonel Sanders est devenu un incontournable de la culture japonaise, en seulement 50 ans.
Ah, Noël… le champagne qui accompagne foie gras et saumon, la bûche qui clôt le repas. Et au beau milieu : la dinde fourrée aux marrons. Enfin, ça, c’est en France… puisque chaque pays a sa petite spécialité pour le réveillon. Si la dinde est présente dans bon nombre de pays, certaines régions préfèrent d’autres, volatiles : l’oie en Allemagne, le canard en Hongrie et au Japon, le poulet. Mais pas n’importe quelle recette de poulet : le KFC. Vous voyez, le poulet frit commercialisé par la célèbre chaine de fast-food du Kentucky. 300 restaurants de la marque en France, mais personne ne songerait commander un Bucket le soir du 24 décembre. Pourtant, au pays du Soleil-Levant, c’est bien une tradition.
Un Noël pas très catholique pour les Nippons
Avant d’être une fête de famille alliant repas, cadeaux et décorations, Noël est une fête chrétienne. Et dans un pays où seulement 1,5 % de la population est catholique (un peu moins de 2 millions), la tradition est bien moins importante. Si peu qu’elle aurait été fêtée pour la première fois en 1904, lorsque l’épicerie tokyoïte Meidi-ya eut l’idée d’habiller sa vitrine d’un sapin de Noël.

Des prémices il y a tout juste un siècle, Santa Claus est donc une tradition moderne, arrivée sur le tard, qui ne cesse de se développer.
Si en France, la nativité est généralement réservée à la famille et la soirée du Nouvel An aux amis, les choses paraissent contraires au Japon. Couples et amis se mettent sur leur 31 le soir de Noël tandis que le rassemblement familial se déroule à la Saint-Silvestre. Bien moins sacrée, le 24 décembre nippon est propice au karaoké, aux pistes de danse et aux restaurants.
Le coup marketing rêvé
La Seconde Guerre Mondiale prend fin en 1945, et le Japon est sous occupation américaine. Les G.I‘s débarqués sur l’archipel propagent leur culture. L’American way of life séduit, et va profondément bousculer le mode de vie japonais. Et si l’indépendance est actée au début des années 1950, la culture perdure. Les enseignes du nouveau continent tentent massivement de s’implanter pour conquérir le public, KFC avec. En 1970, Kentucky Fried Chicken, le roi du poulet frit débarque au Japon.

Quelques mois après l’ouverture du premier restaurant, Takeshi Okawara, le directeur, rencontre plusieurs expatriés chrétiens regrettant de devoir fêter Noël sans dinde. Une idée lui passe alors par la tête : pour combler le manque de dinde, très rare dans le pays, il propose un « seau de fête » à la vente. En 1974, KFC le suit et lance sa campagne publicitaire nationale :
Kurisumasu ni wa Kentakki, ou « Kentucky pour Noël ». L’opération est un franc succès, le poulet frit s’installe à la table du réveillon de Noël dans des milliers de foyers japonais.
KFC de l’entrée au désert
C’est donc au tour du poulet frit qu’amis et tourtereaux passent la soirée du 24 décembre. Mais si vous vous rendez au Japon, ne comptez pas commander votre Bucket à la borne le jour du réveillon… les réservations sont effectuées des mois à l’avance. Certaines années, les ventes sont multipliées par 10 le temps d’une soirée, KFC est bien obligé d’anticiper. En plus de prévoir, la firme sait aussi se diversifier. Pour le Kentucky Christmas, c’est tout un menu qui est pensé chaque année. Une salade, une coupe de champagne, un dessert (tantôt un fraisier tantôt un sponge cake chocolat chantilly), pour 3 336 yens, soit environ 30 €, un repas complet entoure le fameux seau de poulet frit.

En un demi-siècle, l’enseigne a connu une explosion tant son Bucket est devenu une coutume le soir de Noël. Avec 600 établissements sur l’archipel (contre 282 en France), KFC est devenu la seconde plus grande chaine de fast-food américain du pays derrière l’indéboulonnable McDonald’s et ses 3 000 restaurants nippons.
L’hégémonie de l’enseigne kentuckienne fait des envieux, et pour cause, le concurrent américain Wendy’s a aussi lancé sa formule de Noël. Burger foie gras truffes pour un peu plus de 11 euros, choix cornélien pour les Japonais.
De notre côté, KFC n’est pas encore un classique de Noël, mais une question subsiste : Le Colonel Sanders et le Père Noël ne seraient-ils pas une seule et même personne ? Après tout, on ne les a jamais vus ensemble !
Clément Doucet
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