Et si nous élevions le débat à l’approche de Noël ?

Noël est une période faste de consommation. Une date propice à quelques réflexions philosophiques en nous interrogeant sur les liens entre morale et consommation.

La consommation a mauvaise presse. Pour ses détracteurs, elle serait mauvaise pour l’environnement, symbole de nos frustrations engendrées par un capitalisme honni, génératrice d’un désir éternellement insatisfait, alimentant une perte de sens par l’usage de biens qui excèdent nos besoins primaires comme se nourrir ou se loger. Bref, on peinerait spontanément à justifier la moralité de la consommation. Même la date du 25 décembre ne nous sauvera pas de ce débat. Chaque année, les détracteurs de la consommation évoque, entre autres, l’immoralité grandissante du comportement dépensier de « l’homo economicus ». 

Certes, Noël reste la période de l’année ou s’illustre le mieux la surabondance de biens de consommation que génère notre société. Quitte à rendre mélancolique les anciennes générations ? Après tout, qui n’a pas entendu ses parents ou grand-parents évoquer la sobriété, la simplicité des Noëls d’autrefois ? Point de « liste au père Noël » à cette époque là. Et puis, que ressentir face à la distorsion entre la générosité de nos Noëls et celui des plus pauvres, qui n’ont pour bon nombre d’entre eux pas le luxe de le fêter. Bref, dans une société inégalitaire, est-il morale de (sur)consommer ?

Philippe Huguen / AFP

Une idée de la morale

Bien sûr, les philosophes se sont échinés à donner une définition de la moralité. La notion peut au premier abord sembler éminemment subjective. Chacun d’entre nous possède sa propre morale, une morale individuelle. Et puis la société possède une morale commune, dont la méconnaissance est sanctionnée par la loi. Malgré tout, si vous tenez absolument à chercher une définition, vous n’aurez qu’à choisir celle qui vous conviendra le mieux tant les dictionnaires eux mêmes divergent à ce sujet. Prenez le dictionnaire de l’Académie française. Au mot moralité, ce dernier énonce un : « Ensemble des règles, des principes selon lesquels on dirige sa vie, sa conduite, ses mœurs, considéré relativement au bien et au mal. ». Les dictionnaires connus du grand public évoquent, pour le Larousse, un  « Ensemble de règles de conduite, considérées comme bonnes de façon absolue ou découlant d’une certaine conception de la vie » et, pour le Robert, prenant bien soin de ne pas se mouiller, une notion « Qui concerne les mœurs, les règles admises et pratiquées dans une société. »

En somme, faites votre morale en fonction de votre rapport au bien et au mal. Propre à chaque individu, la morale a ceci de paradoxale qu’elle serait vide de sens si elle n’avait pas de lien avec autrui. Léo Ferré l’exprimait très bien à sa façon : « Ce qui a de gênant avec la morale, c’est que c’est toujours celle des autres. »

Dès lors, consommer, est-ce moral ? Et si ça l’est pour soi, l’est-ce pour autrui ? Autrement dit, si consommer est un moyen de satisfaire notre désir, notre droit au bonheur, n’est-t-elle pas l’une des actions les plus morales au monde ?

Consommer, n’est ce pas satisfaire notre droit au bonheur ?

Dans les années 70, un large pan de la théorie économique est consacrée à l’économie du bonheur. Et consommer pour satisfaire ses envies y prend toute sa place. Ainsi, selon l’auteur Mickael Mangot, dans un article paru dans la revue projet intitulé «Faut-il consommer pour être heureux ? », toutes les consommations ne se valent pas. Au delà de la satisfaction de nos besoins primaires, la bonne consommation, celle qui rend heureux, demeure celle qui renforce notre identité et (le « et » est important) renforce notre connexion aux autres car par ses conséquences sociales ou écologiques, la consommation semblerait parfois être néfaste si elle était prise uniquement dans son versant individualiste. 

Alors que faut-il faire ? Est-on condamné à choisir entre deux exclusifs ? C’est à dire, se consacrer entièrement aux autres au détriment de soi. Ou viser l’amoralité en se consacrant entièrement à soi au détriment des autres. Le philosophe allemand Kant disait que l’homme est déchiré entre d’un côté une tendance à s’associer et de l’autre une tendance à se séparer. 

Alors, quelle solution ? Comment concilier désir personnel et moralité dans cette histoire ? La solution pourrait peut-être venir de « l’éthique de consommation ». 

C’est ici que Noël pourrait au moins nous déculpabiliser quelque peu. Quelle autre période que le 25 décembre durant laquelle la consommation est éthique ? Selon cette idée, à chaque consommation, l’éthique commanderait de s’interroger sur la finalité de notre action et sur son bien. Consommer pour soi serait éthique si, dans le même temps, le but est de faire plaisir à ses proches. Quoi de mieux pour renforcer notre « connexion » avec eux selon cette définition ? A ceci près que le bien, objet de consommation, soit lui même éthique d’une certaine manière. Entre les achats de biens dits de seconde main, ou de ceux issus de productions durables, les français semblent de plus en plus nombreux à chercher des alternatives à la consommation « traditionnelle ».

On le voit bien, consommer peut avoir des airs de choix politique. Tant qu’on a parfaitement conscience de l’éthique de notre action, se faire plaisir tout autant que de faire plaisir aux autres serait ainsi moral.

D’ailleurs, cette question éthique (et politique) excède même ce qu’on dépose au pied du sapin pour concerner le sapin lui-même. Cette année, la mairie de Bordeaux a décidé de renoncer au sapin naturel.

Il y a de quoi briser des familles avec un sujet si sensible.

Antoine Béghin