L’Etat condamné pour la 1ère fois dans une affaire de féminicide

113 femmes ont été victimes de féminicides en 2021, des chiffres en hausse par rapport à 2020. Le 17 mars dernier, le tribunal judiciaire de Strasbourg a condamné pour la première fois l’État pour dysfonctionnement du service public de la justice. Onze ans plus tôt, Alham Sehili avait été assassinée par son époux alors qu’elle avait tenté de déposer plainte la veille du drame. Décryptage. 

À quelques jours d’une nouvelle année, l’heure est au bilan annuel tragique : 113 femmes ont été tuées en 2021 par leur compagnon ou ex-compagnon. Des chiffres malheureusement en hausse par rapport à 2020 : 102 féminicides avaient été alors recensées. « Ces mortes, ce sont avant tout des femmes qui n’ont pas été entendues, parce que l’État n’a pas agi », dénonce Hager Sehili, le 23 décembre dans les rues de Strasbourg, dont la soeur a trouvé la mort sous les coups de son mari onze ans plus tôt. 

La veille de son assassinat, Ahlam Sehili a tenté de déposer plainte au commissariat central de Strasbourg. Le 16 avril 2010, Alham se rend d’abord à la préfecture pour demander d’arrêter la procédure de régularisation du titre de séjour de son époux. Elle écrit une lettre à cet effet, dans laquelle la mère d’un garçon de deux mois dénonce des violences, des menaces d’enlever leur enfant ou de la brûler vive. 

À la suite de ce témoignage, les agents préfectoraux l’incitent à se rendre au commissariat. Accompagnée de sa mère, Alham va au poste de police : une enquête administrative a confirmé sa présence de 10h22 à 10h38. Durant 16 minutes, elle expose son histoire, mais aucune plainte ou main courante n’est alors acceptée par le policier face à elle. 

Hager Sehili et le fils de sa soeur, assassinée 10 ans plus tôt, manifestant dans les rues de Strasbourg, le 23 décembre 2021. © Dannae Corte

Une condamnation historique de l’État pour dysfonctionnement de la justice 

Après la mort de sa soeur, Hager Sehili engage un long combat judiciaire. Les tribunaux pénal puis administratif de Strasbourg s’estiment incompétents pour juger « l’action en réparation du fait d’un dommage subi par ricochet en suite d’un dysfonctionnement du service public de la justice. » 

Ce n’est qu’en mars dernier, que la chambre civile du tribunal judiciaire de Strasbourg condamne l’État qui doit verser des dommages et intérêts au fils d’Ahlam. Le montant des versements n’a pas été rendu public. Le policier fautif n’a jamais été identifié et démis de ses fonctions. C’est la première fois dans l’histoire que l’État est reconnu coupable d’inaction dans le cas d’un féminicide

Aujourd’hui, Hager Sehili a honoré les deux promesses faites à sa soeur défunte : s’occuper de son fils et lui rendre justice. « Mais le combat doit aller plus loin, pour toutes ces femmes qui ont perdu cette année la vie. C’est toujours une de trop », clame-t-elle. Hager vient de déposer les  statuts de son association À l’âme, un nom en référence à celui de sa soeur. Ses espoirs ? « Je veux travailler avec d’autres structures existantes pour soutenir sur le plan juridique, matériel, ou psychologique, les victimes de violences conjugales. », conclut Hager. À l’aube d’une nouvelle année, les actions se mobilisent, et une réaction gouvernementale est attendue. À suivre. 

Marie Chéreau