La plus secrète mémoire des hommes : Le succès de Mohamed Mbougar Sarr 

Depuis le 3 novembre, le jeune Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr multiplie les interventions médiatiques et les conférences. Le lauréat 2021 du 119e prix Goncourt fait couler beaucoup d’encre depuis le couronnement de son quatrième livre “La plus secrète mémoire des hommes” : Une (en)quête qui traverse les continents, les époques, qui mêle et démêle les destins.  

Sur les traces du poète disparu 

Une histoire qu’il est à la fois impossible de raconter, d’oublier, de taire”. C’est en ces mots que Diègane Latyr Faye, jeune Sénégalais installé à Paris qui se rêve écrivain, décrit le livre de l‘auteur qui l’obsède. T.C Elimane, autre écrivain Sénégalais autrement surnommé le “Rimbaud Nègre” par la critique Française, est l’auteur d’une œuvre introuvable et publiée en 1938, “Le labyrinthe de l’inhumain”, qui le fera connaître, puis disparaître. Commence alors une quête, sur les traces de l’auteur disparu, oublié, sur “les raisons d’un exil choisi et radical”. 

Mohamed Mbougar Sarr mêle fiction et réalité. A travers la figure de T.C Elimane, il fait renaître la mémoire de Yambo Ouologuem, écrivain Malien dont l’œuvre polémique, “Le devoir de violence”, fut couronnée par la critique littéraire en 1938. Accusé de plagiat, l’auteur, qui portait un regard critique sur les sociétés africaines précoloniales, disparaitra de la vie publique, jusqu’à sa mort, en octobre 2017.  

A travers Diègane, son double littéraire donc, Mohamed Mbougar Sarr nous entraîne sur la trajectoire du mystérieux T.C Elimane. Des colonies africaines, au Buenos Aires des années 1950, en passant par le Paris de l’Occupation, le lecteur voyage au gré des évènements du vingtième siècle et des pas de T.C Elimane. Le récit polymorphe fait intervenir plusieurs personnages dont les discours s’imbriquent, reconstituant peu à peu le labyrinthe qu’est la vie de l’auteur recherché. 

Entre les lignes, une quête d’identité 

Un grand livre n’a pas de sujet et ne parle de rien, il cherche seulement à dire ou découvrir quelque chose “, écrit Mohamed Mbougar Sarr. Llabyrinthe de l’inhumain, c’est avant tout une quête, qui s’étend bien au-delà de la quête de l’homme disparu.  

C’est une quête de questions, de réponses, une quête de sens, de vérité et d’identité : Qui est-on hors de chez soi ? Quel rapport la France entretient-elle avec ses anciennes colonies d’Afrique ? Il y est aussi et surtout question de littérature : Quelle est la place des auteurs Africains sur la scène littéraire aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’un grand livre ? Quel est le rôle de la littérature dans nos vies ? Quelles en sont ses limites ? Peut-elle nous aider à vivre ? “Nous ne pensions pas du tout que la littérature sauverait le monde ; nous pensions en revanche qu’elle était le seul moyen de ne pas s’en sauver” écrit l’auteur. Ecrire pour trouver quelque chose, sur soi, sur les autres, sur le monde. Ecrire pour chercher des réponses et poser des questions. C’est en face de notre condition commune, d’Homme avec un grand H, que l’auteur nous place.  

 L’une des voix du roman déclare qu’“Elimane a trouvé dans la littérature son pays réel, peut être le seul”. Comme lui, Mohamed Mbougar Sarr voit dans la littérature un espace qui transcende les origines, les couleurs, qui ne fait aucun reproche : L’écriture comme troisième continent pour l’auteur, à la croisée de deux cultures. 

Premier écrivain d’Afrique Subsaharienne qui remporte le prix Goncourt, Mohamed Mbougar Sarr espère que son succès ne fera pas preuve d’exception. Que ce soient les romans, comme lieux de connaissances, qui soient couronnés, car la lutte permanente pour une relation apaisée entre la France et l’Afrique se joue aussi dans la littérature. 

Hélène Decaestecker