35 ans après son assassinat et après une pause en fin d’année 2021, le procès de l’assassinat du président burkinabé Thomas Sankara a repris le mardi 4 janvier.

Crédit: archives Jeune Afrique/Rea
Ils sont nombreux les noms d’Africains devenus, au fil de la période de la décolonisation, des icônes du vingt-et-unième siècle : Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Kwame Nkrumah (Ghana), Jomo Kenyatta (Kenya), Amílcar Cabral (Guinée), Patrice Lubumba (RDC) ou encore Nelson Mandela (Afrique du Sud)… À l’exception de ce dernier, rares sont ceux qui dégagent une aura de postérité aussi importante que celle de Thomas Sankara (1949-1987), surnommé le « Che Guevara Africain ». D’abord nommé premier ministre de la Haute-Volta après un premier coup-d’État mené par l’armée, il se retrouve limogé pour avoir critiqué en direct à la télévision les liens entre son pays et la France, qu’il juge « néocoloniaux ». Le militaire se voit soutenu par ses confrères militaires et mène un second coup en août 1983. Il mène alors pendant 4 ans, à la tête du Comité national révolutionnaire (c’est-à-dire en tant que chef d’État), une politique révolutionnaire dont le but assumé est d’assurer l’autonomie politique et économique du pays, renommé par lui « Burkina Faso » – la « Patrie des Hommes Intègres ». Au cours de cette courte période, Sankara sera parvenu à rendre le pays « alimentairement autosuffisant » comme l’ont reconnu les Nations-Unies par la bouche de leur rapporteur spécial Jean Ziegler. Féministe, il interdit l’excision, le mariage forcé et s’oppose avec moins de succès à la polygamie.
Sankara, isolé en Afrique, se rapproche du Bloc de l’Est, appelle au boycott de l’Afrique du Sud – encore sous le régime de l’Apartheid – et d’Israël. Son dernier coup d’éclat, c’est son discours à Addis-Abeba devant l’Organisation de l’unité africaine où il dénonce le FMI et enjoint l’Afrique à refuser de payer leurs dettes aux pays occidentaux, nouvel asservissement colonial selon lui. Trois mois après ce discours, le 15 octobre 1987, il est assassiné avec 11 autres personnes dans la salle du Conseil de l’Entente à Ouagadougou. Il faut dire que l’intégrité de Sankara n’était pas sans contrepartie : les opposants du chef-d’État sont réprimés depuis 1983, à commencer par les syndicats. De même, en privant les chefs féodaux de leurs pouvoirs locaux, Sankara se fait des ennemis.
Un procès longtemps attendu.
L’absence de procès s’explique par le fait que son ancien bras-droit Blaise Compraoré, premier suspect, arrive au pouvoir immédiatement après l’assassinat: Sankara reste alors officiellement « mort de causes naturelles ». Il faut attendre 2006 pour que le Conseil des Droits de l’Homme condamne l’absence de procès.
Le président Compraoré est renversé en 2014 lorsque les Burkinabés manifestent en masse contre sa volonté de se représenter pour un cinquième mandat. Il part alors se réfugier en Côte-d’Ivoire, avec l’assistance du président français François Hollande. La veuve de Sankara, Myriam Sankara, est accueillie par des milliers de Burkinabés l’année suivante pour témoigner sur l’assassinat de son mari. Les pressions subsistent: Gilbert Dienbéré, général et ancien chef-d’état major de Compraoré, échoue un putsch en septembre 2015 – il a lui-même été inculpé dans l’assassinat de Sankara. En 2017, le président français Emmanuel Macron accepte de déclassifier tous les documents français concernant l’affaire. Ce sont au final 25 inculpés qui seront jugés et c’est à partir du 11 octobre 2021 que Blaise Compraoré – que les Ivoiriens refusent d’extrader, ainsi que 13 autres sont jugés. Quatre-vingts témoins ont déjà été entendus. Aujourd’hui, depuis octobre, l’assassinat de Sankara est déjà plus saisissable: on connaît la composition du commando qui a assassiné le leader burkinabé. On sait aussi que c’était Gilbert Dienbéré qui le dirigeait et que ceux-ci sont partis du domicile de Compraoré. Autre témoignage d’importance, celui de Jerry Rawlings, qui était au moment des faits le président du Ghana : deux semaines avant la date fatidique, le leader burkinabé s’était entretenu avec lui, déjà il le soupçonnait de vouloir attenter à sa vie. Le procès est suivi avec attention par les Burkinabés qui sans doute espèrent qu’à l’issue de celui-ci, l’intégrité de leur pays leur sera rendu…
Ferdinand Chenot
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