Royalistes : cachons cette présidentielle que vous ne sauriez voir

L’élection au suffrage universel direct du chef de l’Etat est un moment incontournable de la vie démocratique française. Impensable de revenir en arrière, surtout pour un des rares scrutins qui ne soient pas boudés par les français. Cette échéance doit pourtant nous rappeler qu’il n’en fut pas toujours ainsi, à l’heure ou nous avions un monarque pour arbitre de la vie partisane. Tiens, faisons un état des lieux du royalisme en 2022…

La monarchie, fantaisiste avez-vous dit ? Pas tant que ça… les royalistes de ce pays aiment rappeler que l’idée d’une restauration monarchique n’est pas saugrenue tant les exemples historiques abondent, et en particulier en Europe.

Prenez une carte. Sur ses frontières hexagonales, la France est entourée par quatre monarchies et trois républiques. Le Royaume-Uni, la Belgique, le Luxembourg et l’Espagne sont monarchiques. L’Allemagne, la Suisse et l’Italie sont républicaines. Il s’en est fallu de peu, en 1946, pour que l’Italie demeure une monarchie. Il s’en est fallu de peu aussi, en 1951, pour que la Belgique se sépare de son roi. Quant à l’Espagne, elle offre un exemple intéressant où le garant du retour de la démocratie, après des années de dictature franquiste fut en 1981 un monarque : Juan Carlos Ier. 

Et la France dans tout cela ? Il ne fut pas évident de mettre un terme à plus de dix siècles de succession capétienne à la tête de l’Etat. Suite à la chute du Second empire en 1870, la république a mis près de 40 ans à se consolider. A l’origine transitoire, la république (la troisième) a finalement duré. Depuis 1914, elle est acceptée par la majorité des Français. La Première guerre mondiale, l’union sacrée, le mélange des hommes dans les tranchées de toutes conditions sociales, se chargeront de prouver qu’une république peut aussi bien défendre les intérêts français qu’une monarchie et surtout rassembler le pays. Disons aussi que la conquête des campagnes, religieuses donc conservatrices, avec l’instruction publique obligatoire y a fortement contribué. L’avènement d’un suffrage (réellement) universel a fait le reste.

L’hypothèse d’une restauration monarchique s’est donc peu à peu évanouie. Elle a d’abord été le combat d’une force politique : l’Action française. Séduit dans un premier temps par la ferveur de ses militants, les princes s’en éloignèrent bientôt, peut-être conscient qu’on ne maintiendrait jamais à la tête du pays l’homme d’un clan et non l’homme d’un peuple. Dès lors, le royalisme français deviendra marginal, accusé par ses détracteurs de n’être qu’un mouvement d’extrême droite. La seule année ou on a approché sérieusement l’idée d’une restauration monarchique fut 1965. Il semblerait que De Gaulle, monarchiste de coeur mais républicain de raison comme il l’a pu le confier dans une des lettres adressées au Comte de Paris (la correspondance entre les deux hommes a été publiée), aurait eu dans l’idée de ne pas se présenter à l’élection présidentielle de 1965 pour pousser le prince d’Orléans à s’y présenter. Le meilleur moyen de restaurer la monarchie en France aurait été ainsi qu’elle s’appuie sur une base populaire et non par un « coup de force » rêvé par quelques royalistes exaltés.

Aujourd’hui, le royalisme français fait pâle figure. Le réactionnaire catho-tradi, représentant majoritairement ce courant, s’y complait bien. Drôle de prétendre au retour d’une France qui n’existe plus. Après tout, chacun a ses exécutoires. En tout cas, l’idée domine chez eux que la république (Parfois déformée en Ripou-blique) n’est pas satisfaisante. Par contre, la suite du discours pourrait intéresser plus de monde. Pour eux, il manque ce supplément d’âme, cette forme de sacré qui fait la force d’un régime politique séculaire, assis sur de solides bases, à l’image de la monarchie britannique par exemple. Connaître sa cinquième République, et alors que la perspective d’une sixième République refait surface, n’est-ce-pas un signe évident que la France se cherche encore depuis la Révolution ?

Deux rois, un empereur

Il y a trois prétendants au trône.

Les légitimistes soutiennent les droits de Louis, duc d’Anjou, hypothétique Louis XX, actuellement prince espagnol mais de famille originellement française, les Bourbons.

Les orléanistes soutiennent la branche restée française des bourbons, les Orléans, en soutenant les droits du prince Jean, hypothétique Jean IV.

Et il existe encore des bonapartistes, respectueux des principes républicains et pas tendre avec les royalistes mais qui trouve mieux pour des raisons de prestige et d’union nationale de mettre un monarque à la tête de la République, qu’on appellerait empereur et qui serait hypothétiquement Napoleon VII. 

Louis-Alphonse de Bourbon, dit Louis XX (Jean-Pierre Muller / AFP)

Louis XX est le représentant de la branche ainée des bourbons depuis la disparition du Comte de Chambord, mort en 1883 sans descendance.

C’est un descendant direct de Philippe V d’Espagne, petit fils de Louis XIV, maintenu à la tête de la monarchie espagnole à la fin de la guerre de succession d’Espagne. En raison des règles de dévolution de la couronne, qui veulent que ce soit toujours l’ainé de la famille régnante qui hérite de la couronne, les partisans de Louis XX maintiennent qu’il est de droit roi de France.

Un problème subsiste. Par le traité d’Utrecht de 1713, qui clôture la guerre de succession d’Espagne, Philippe V a renoncé pour lui et sa descendance à la couronne de France. Il s’agit d’une disposition voulue par les anglais, les hollandais et les allemands, qui ont fait 10 ans de guerre pour empêcher le rêve de Louis XIV : faire que son petit fils régna un jour à la fois sur la France et sur l’Espagne, fusionnant les deux couronnes, et faisant du même coup de la France une superpuissance. 

Les légitimistes prétendent que cette clause est invalide car il n’était pas du pouvoir du roi de renoncer à la couronne en raison du principe d’indisponibilité de la couronne. La couronne n’appartenant pas au roi, il n’est pas libre d’en disposer et donc d’y renoncer pour lui et sa descendance. Selon eux, Philippe V, en 1713, conservait ses droits à la couronne de France et du même coup son descendant direct l’actuel « Louis XX ».

Jean d’Orléans dit Jean IV (KG – FDN)

Jean IV est le représentant de la branche cadette des Bourbons aujourd’hui connus sous le nom d’Orléans. Avantage par rapport à Louis XX ? Il est resté français.

Les Orléans conservent un lourd remord à porter puisque leur aïeul, le prince Philippe d’Orléans dit Philippe Égalité sous la Révolution, cousin germain de Louis XVI, a voté la mort du roi en 1793. Lui aussi passera à l’échafaud.

Pas facile de prétendre à la couronne quand on est issu d’une famille de régicide. Les Orléans comptent de sur de multiples messes de pardon et sur l’écoulement du temps (une veille histoire de plus de 200 ans maintenant) pour maintenir la moralité de leur cause. En argument, ils ont le traité d’Utrecht cité précédemment qui exclurait les bourbons espagnols. Parce qu’il est tout de même fortement contesté, ils en ont un deuxième qui, s’il n’a jamais été écrit, est une règle juridique coutumière : le vice de pérégrénité.

C’est une règle informelle qui fait qu’un prince étranger ne peut hériter de la couronne de France. Espagnol, Louis XX ne peut hériter du trône de France. A l’instar des autres monarchie européennes, volontiers cosmopolites, il est vrai que la monarchie française, menacée plusieurs fois dans son indépendance nationale, a toujours été caractérisée par son nationalisme. On retrouve un peu de l’héritage de ce « vice de pérégrénité » dans l’exclusion des étrangers à certains de nos emplois publics ou encore dans l’exercice du vote.

Et pourquoi pas un empereur ?

Jean-Christophe Napoléon dit Napoléon VII (Eric Garault/Le Figaro Magazine)

Napoléon VII est le prétendant des bonapartistes. Il est davantage le symbole de la nostalgie de ces derniers pour la figure du grand empereur qu’une option crédible à la direction de l’Etat. Cependant il a, aux yeux de ses partisans, le grand mérite d’allier le respect des principes républicains avec les avantages d’une monarchie. La source de la souveraineté, c’est le peuple. Napoléon Ier, Napoléon III sont, certes, parvenues au pouvoir par le biais d’un coup d’état, mais s’y sont maintenus grâce au vote plébiscitaire des français. L’usage fréquent de référendum, briseur des intermédiaires et inaugurant un lien particulier de confiance entre le peuple et son chef demeure leur leitmotiv. Fort sur le régalien et fort sur la politique sociale, ils présentent une synthèse d’une forme de gaullisme. Le message des bonapartistes est le suivant : gardons la république mais arrêtons d’élire le président de la République, l’homme d’un parti. Mettons-y un Napoléon.

Louis XX, Jean IV, Napoléon VII : quel modèle constitutionnel ? La monarchie d’un Jean IV serait similaire à ce qu’est la monarchie espagnole, c’est à dire un roi faisant fonction d’arbitre. Bref, une monarchie constitutionnelle ou le chef d’Etat serait le garant du bon fonctionnement des institutions et avant tout une personnification non partisane de la Nation. Jean d’Orléans est sans doute le prince qui se prépare le mieux à l’hypothèse d’une restauration monarchique tant on l’a poussé à se « tenir prêt » dans son éducation. Ami de Stéphane Bern (normal), on dit aussi qu’il a l’oreille d’Emmanuel Macron. Au château d’Amboise, l’ancienne demeure familiale, c’est lui qui a accueilli le Président de la République et le président italien Sergio Materalla le 2 mai 2019 pour marquer les 500 ans de la Renaissance. Tout un programme.

Louis XX ? C’est à se demander si il prend vraiment au sérieux son héritage dynastique. Par devoir, il remplit tout comme son père les fonctions de chef de maison. Une carte de voeux chaque année à ses partisans, une présence à la messe traditionnelle aux alentours du 21 janvier à La Chapelle expiatoire, à Paris, en hommage à l’exécution de Louis XVI et c’est tout. Ses détracteurs s’amusent de son français teinté d’un fort accent espagnol. C’est l’homme d’une tradition : le national-catholicisme, comme son grand-père. Petit-fils de Franco, il a donc des positions politiques très tranchées, surtout sur un seul bord, qui le rendent incompatibles avec l’image d’un monarque non partisan.

Napoléon VII ? Imaginez deux choses. 1° Que le Président de la République ne soit plus élu. 2° Que la fonction devienne héréditaire. Appelez le « Empereur » parce que ça sonne bien et vous aurez Napoléon VII.

Car les royalistes comme les impériaux s’accordent sur une chose : la qualité d’un monarque. Pour eux, il possède l’avantage de s’émanciper de la vie partisane, en étant l’homme du peuple et non l’homme du « 50% + 1 ». Quant à l’hérédité dans la succession, ils y voient l’avantage d’une continuité de l’Etat intemporel et surtout un facteur de stabilité.

Alors certes, la restauration de la monarchie, ce n’est pas pour demain. Ça ne le sera peut-être jamais. A charge pour les royalistes de nous convaincre que la monarchie peut s’accorder avec l’idée de modernité. A charge aussi de nous prouver que le changement de régime politique peut être une réponse à la déliquescence de la vie politique du pays. Mais ces débats, aussi fantaisistes peuvent-ils paraître, ont au moins le mérite de nous rappeler que tout comme les hommes et tout comme les civilisations, les régimes politiques aussi, sont mortels.

Antoine Béghin