Depuis le début du mois de janvier, les tensions montent au Mali. En cause, la junte militaire au pouvoir depuis le mois d’août dernier, et qui a décidé de rester au pouvoir pour cinq ans, en dépit des accords conclus avec l’organisation africaine de la Cédéao. Tentons d’y voir clair…
Pour commencer, une rapide remise en contexte s’impose. Depuis 2012, à la suite d’insurrections indépendantistes et djihadistes, le Mali est embourbé dans une guerre sans fin avec de nombreuses violences terroristes et interethniques. Dès la fin de l’année 2019, des désaccords entre le président alors en exercice, Ibrahim Boubacar Keïta, et l’armée nationale apparaissent. S’ensuit une escalade des tensions, jusqu’au 19 août 2020, une date décisive. Dans un contexte d’élections législatives contestées et de manifestations massives menées par le M5-RFP – le Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des forces patriotiques, le président Ibrahim Boubacar Keïta est arrêté par des mutins et démissionne sur les ondes de l’ORTM. Quelques heures plus tard, le Comité national pour le salut du peuple une institution politico-militaire, prend le pouvoir. A sa tête, Assimi Goïta, jusque lors colonel forces spéciales maliennes dans le centre du pays

A l’origine, celle que l’on appelle désormais « junte militaire » s’est donnée pour mission d’organiser la transition du pouvoir vers un nouveau gouvernement civil. Il reprochait alors au président Keïta d’être un président corrompu qui ne permettait pas à l’armée d’exercer ses missions correctement. En ce sens, un accord avait été conclu avec la Cédéao – organisation africaine regroupant 15 pays et ayant pour mission de promouvoir la coopération politique et économique sur le continent africain. Ce dernier prévoyait la tenue de l’élection présidentielle avant le 27 février 2022.
Un accord de transition qui ne convient pas
Problème : les autorités maliennes de transition ont soumis le 8 janvier à la Cédéao un calendrier qui ne correspond pas aux promesses faites. Il prévoit, en effet, la tenue de la prochaine élection présidentielle fin décembre 2025, soit une période de transition de cinq ans et demi. Selon la junte, l’insécurité chronique rendait impossible la tenue d’élections en toute sécurité : « Cette proposition tient compte de la nécessité pour le Mali de pouvoir réaliser des actions prioritaires, notamment les réformes politiques et institutionnelles, dans une durée qui est assez acceptable » (ministre malien des Affaires étrangères). La junte réclame également le temps de mener à bien des réformes essentielles selon elle, et d’organiser des élections « incontestables ».
La Cédéao a jugé ce calendrier « totalement inacceptable ». Selon l’organisation, une telle décision « signifie simplement qu’un gouvernement militaire de transition illégitime prendra le peuple malien en otage au cours des cinq prochaines années ». En réaction, elle a annoncé le 9 janvier dernier de nouvelles sanctions contre le Mali, déplorant « le manque flagrant de volonté politique de la part des autorités de la transition, qui est à l’origine de l’absence de progrès tangibles dans la préparation des élections ».

Avec effet immédiat, les ambassadeurs des pays membres de l’organisation en siège au Mali sont rappelés, les frontières terrestres et aériennes avec le pays sont fermées au sein de l’espace sous régional, les transactions commerciales et financières – à l’exception de certains produits tels que les produits alimentaires, pharmaceutiques et pétroliers – sont suspendues, les aides financières coupées et les avoirs du Mali à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest gelés.
Elles ne seront levées progressivement que lorsque les autorités maliennes présenteront un calendrier « acceptable » et que des progrès satisfaisants seront observés dans sa mise en œuvre. En somme, la Cédéao pousse au retour des civils dans les meilleurs délais et reste disposée à accompagner le Mali dans « un retour à l’ordre constitutionnel à travers l’organisation d’élections crédibles dans un délai raisonnable et réaliste ».
Des sanctions qui pourraient avoir des conséquences graves sur la population
Cependant, beaucoup s’interrogent sur les conséquences d’une telle décision. Rappelons que le Mali est déjà plongé dans une grave crise sécuritaire et politique depuis le déclenchement d’insurrections indépendantistes et djihadistes en 2012, et que le pays est déjà sous perfusion de l’aide internationale économique.
On notera également que le Mali est un pays enclavé dont l’approvisionnement en denrées dépend beaucoup des échanges commerciaux avec ses voisins comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal. La fermeture des frontières pourrait donc avoir de graves conséquences sur la population.
Face à ces sanctions jugées trop « dures », le gouvernement malien a vivement réagi le 10 janvier dernier. Ses ambassadeurs en poste dans les pays membres de la Cédéao ont été rappelés et les frontières avec ses voisins de la Cedeao fermées. La junte militaire accuse l’organisation d’être « instrumentalisée par des puissances extrarégionales », en l’occurrence la France, qui est accusée d’en tirer les ficelles. Le Premier ministre de transition, Choguel Maïga, a également annoncé qu’une plainte sera déposée contre les sanctions car il les juge « illégales » et estime que leur objectif réel est de déstabiliser le Mali et d’achever un peuple déjà à terre.

Malgré tout, le président de la transition, le colonel Assimi Goita s’est dit ouvert au dialogue. Il a tout de même appelé les Maliens à une « mobilisation générale » vendredi 14 janvier. Un appel qui a été très suivi : ce sont des milliers de manifestants qui se sont massés dans la capitale, sur la place de l’Indépendance.
L’inquiétude des pays d’Afrique face à cette montée des tensions
L’Algérie, en sa double compétence de chef de file de la médiation internationale et présidente du Comité de suivi de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali a exprimé ses inquiétudes face aux « risques graves et les épreuves que porte en elle la panoplie de sanctions massives annoncées par le sommet extraordinaire des chefs d’État de la Cedeao ce 9 janvier à Accra ». Dans un communiqué des affaires étrangères, le pays s’inquiète également des « contre-mesures annoncées par le gouvernement de la République du Mali » et a appelé « toutes les parties à la retenue et au réengagement dans le dialogue en vue d’éviter à la région un engrenage de la tension et une exacerbation de la crise ».
Finalement, le gouvernement algérien a aussi appelé le pouvoir à Bamako à revoir son calendrier, estimant « raisonnable et justifiable une période de transition d’une durée ferme d’une année, que seules des considérations impérieuses d’ordre sécuritaire, financier ou matériel pourraient étendre de quelques mois le cas échéant ».
La position délicate de la France dans cette crise malienne
La France et l’Union européenne, quant à elles, ont exprimé leur soutien à la Cédéao et l’Union économique et monétaire ouest-africaine à l’encontre de l’État malien dans un communiqué officiel. La France a aussi annoncé que la compagnie Air France suspendait ses liaisons avec le pays jusqu’à nouvel ordre. Quant à l’Union européenne, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a assuré que les 27 préparaient eux aussi une « série de mesures ». Selon lui, « Ce qui se passe au Mali est une véritable fuite en avant de la junte au pouvoir qui, au mépris de ses engagements, souhaite confisquer le pouvoir pendant des années et priver le peuple malien de ses choix démocratiques ».
La France avait initié l’adoption d’un texte affirmant la position de l’ONU face à la junte malienne, mais il a été bloqué par la Russie et la Chine.
Reste à savoir quelles conséquences aura cette décision sur le long terme. Retrait des troupes françaises au Mali ? Isolement géopolitique du pays ? L’avenir nous le dira…
Morgane Jean
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