“Ma place n’est plus au bloc opératoire“

Mercredi 12 janvier, le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix 2018, a été reçu par la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes. Le créateur de la fondation Panzy au Congo est intervenu pour manifester de l’importance de son combat face à une certaine indifférence de la communauté internationale. Il demande l’intercession de la France, par sa position au conseil de sécurité de l’ONU ou son rayonnement international, notamment pour consacrer sur le plan normatif l’existence du viol comme acte de guerre, et sa pénalisation pour les États responsables. 

En 2010, la résolution du conseil de sécurité de l’ONU adoptait la résolution 1325, reconnaissant la souffrance des femmes dans les conflits armés. On découvrait alors dans le rapport que 70% des victimes de guerre, hors combattants, étaient des femmes. Cette avancée, si elle est positive, pourrait prendre l’apparence de déclaration d’intention, quand on sait que la pratique du viol comme arme de guerre continue de se répandre au Congo, au Yémen, au Tigrée ou au Myanmar. 

Le viol : une arme méthodique, systématique et économique

« Ma place n’était plus au bloc opératoire ». Quand le docteur Denis Mukwege s’acharne à sauver un bébé de 6 mois violé à plusieurs reprises, il comprend que son rôle dans ce combat contre de la barbarie doit s’étendre au-delà de l’hôpital. Auprès de la communauté internationale, il explique que le phénomène ne naît pas d’une habitude morbide prise par des combattants, guidée par des pulsions masculines ; mais qu’il s’agit bien d’une arme, utilisée avec des objectifs bien précis. Le premier, selon le gynécologue, est de détruire une communauté. 

« Toute la cohésion sociale est détruite » 

« Quand on perd l’estime de soi, on fait ce que celui qui vous domine vous demande de faire » affirme-t-il. Ces crimes, perpétrés publiquement et systématiquement dans les villages conquis, répondent à des ordres bien particulier. Denis Mukwege l’a compris en menant des recherches statistiques sur les femmes qu’il opérait : chaque groupe opère avec une méthode qui lui est propre. Il a notamment mené une étude sur le viol d’enfants. Sur les 3.000 enfants violés qu’il a dû « réparer », tous ceux de moins de 5 ans étaient les victimes d’un groupe particulier. Enfin, cette arme est selon le docteur, économique. Les groupes soumettent les populations dans un objectif défini : utiliser les miettes de ces populations dans les mines d’extraction de cobalt. Le minerai, vendu à prix d’or aux société « High-Tech », finance les groupes armés. Denis Mukwege appelle à la prise de conscience : l’achat d’ordinateurs, tablettes de smartphones peut financer indirectement le viol massif de populations africaines. 

Crédit : Platon

Une arme physique et psychologique

Les conséquences de cette pratique militaire sont d’abord physiques. Le titre « réparateur de femmes » du docteur Denis Mukwege n’est pas usurpé. L’intention première des commanditaires est de détruire l’appareil génital des femmes violées. Il n’est pas rare, selon lui, de voir les militaires utiliser des produits chimiques pour empêcher la femme d’avoir des enfants après le viol. Un autre aspect physique de cette arme est la transmission à ces populations de maladies sexuellement transmissibles. « On observe chez ces femmes un taux anormalement élevé de positivité au VIH » confie le gynécologue. 

« Depuis que c’est arrivé à ma femme, je ne suis plus un homme »

Avec son association Panzy, Denis Mukwege s’est efforcé de redonner une vie à ces femmes. Physiquement d’abord, psychologiquement ensuite, et enfin, l’association les aide à trouver une nouvelle raison de vivre, par des études ou même un travail. D’autre part, il s’est donné la mission de conserver avec lui toutes preuves dont elles auraient besoin si elles désiraient un jour demander justice. Au cours de son mission, il a observé une chose à laquelle il ne s’attendait pas. Les hommes dont la femme a été victime de viols fuient la communauté. D’abord désabusé par ce comportement, le gynécologue a rapidement compris qu’ils étaient les victimes secondaires de leur société patriarcale : la honte et le sentiment de ne pas avoir rempli leur devoir pousse ces hommes à s’exiler, voire au suicide. Interrogé par Denis Mukwege, un homme lui confie : « je n’avais aucune raison de rester, puisque je n’étais plus un homme ». 

Le rôle attendu de la France

Le combat du docteur se déroule à présent sur la scène juridique. Son nouvel objectif est de responsabiliser les États sur le comportement de leurs soldats. Auprès du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le prix Nobel de la Paix s’est dit « scandalisé par ces grandes nations ». La Chine et la Russie ont poussé à la modification de la résolution 2467 une demi-heure avant le vote, afin que la responsabilité des États ne puisse pas être engagée en cas de l’utilisation du viol lors des conflits armés. L’association Panzy demande à la France d’utiliser son influence auprès du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour faire passer cette résolution. Il s’agit pour les députés et membres de la commission de donner la voix qui manque au docteur. Son obtention du prix Nobel en 2018 inquiète au Congo, où son message est éclipsé par le gouvernement. Denis Mukwege dérange : « quand je passe à la télévision, ils mettent un match de basket ». 

Marin DANIEL-THEZARD