Droit de réponse : le ping-pong héninois

Les médias, notamment la presse, ont pour mission de transmettre l’information au public. Les journalistes sont libres d’écrire ce qu’ils veulent dans la mesure où ils respectent la vérité et la bienséance. Ils sont libres de s’exprimer et de révéler ce qu’ils ont appris : on peut alors parler de liberté de la presse. Mais pour contrer cette force des médias, toute personne a la possibilité d’utiliser un droit de réponse. L’exemple le plus frappant se trouve à Hénin-Beaumont, où la guerre du droit de réponse est devenue un feuilleton aux cent rebondissements. Explications

Depuis son arrivée aux responsabilités en 2014, la municipalité frontiste à Hénin-Beaumont enchaîne les droits de réponse. Sur la seule année 2016, ce sont près de 25 droits de réponse qui ont été adressés par le président du groupe majoritaire au conseil municipal, Bruno Bilde.

La Voix du Nord croule sous les droits de réponse de la mairie d’Hénin-Beaumont – Franceinfo

Aujourd’hui, les élus majoritaires d’Hénin-Beaumont ont dépassé le cap des 100 droits de réponse. Une technique qui ralentit drastiquement le travail des journalistes. Le tout après des articles “qui n’étaient pas du goût de la municipalité” comme le décrivait Pascal Wallart, ancien chef d’édition de La Voix du Nord, dans les lignes de France Info.

Bruno Bilde quant à lui dénonce une « mise en cause permanente de la mairie par La Voix du Nord, du sujet le plus mineur au plus important ». (France Info) Il justifie son habitude par « une simple application du droit ». Politiquement parlant, il se justifie surtout par le côté militant du journal et des journalistes. On se rappellera en 2015 pour le second tour des élections régionales, la double-page de la rédaction régionale de La Voix du Nord : “Pourquoi une victoire du FN nous inquiète ». De là, un fossé se creuse entre journalistes et politiques. Celui qui communiquait sans cesse avec les journalistes locaux ne leur adressera plus la parole, les boycottant et en ne les informant plus. 

Mais si les élus héninois sont si prompts à brandir la loi de 1881, il semblerait qu’il leur est beaucoup plus compliqué de s’y plier au sein de leurs magazines municipaux. En septembre 2021, Christopher Szureck, premier adjoint au maire et ancien directeur de publication d’Hénin-Beaumont c’est vous, a été condamné par la cour d’appel de Douai pour ne pas avoir publié le droit de réponse en temps voulu d’un journaliste de La Voix du Nord mis en cause dans leurs colonnes (trois mois plus tard). Estimant que le journaliste avait subi un préjudice en étant privé de réponse (car ledit article mettait en cause son sérieux et son professionnalisme), l’élu a été condamné à verser 800 euros de dommages et intérêts.

Savoir détourner la loi

En 2017, les élus de la majorité municipale ont rédigé des droits de réponse (qui, par la suite, sont devenus des notes de la rédaction) sous des tribunes des groupes minoritaires, assimilant donc ces expressions à des textes pouvant être contestés par un directeur de publication. En octobre 2020, la cour d’appel de Douai a débouté la mairie RN en faveur de l’élu communiste David Noël qui avait dénoncé les faits. Le Code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit que les conseillers municipaux disposent d’un espace dédié dans la communication municipale en proportion du nombre d’élus. Le tribunal a jugé illégal le fait de répondre à une tribune de l’opposition pour une seconde tribune pour la majorité.

Exemple de “droit de réponse » publié sous les tribunes politiques (Octobre 2017)

Depuis près d’un an, c’est une nouvelle méthode qui est utilisée par les élus héninois pour répondre aux journalistes en se passant de la presse locale. Leurs droits de réponse sont publiés dans les colonnes de leur magazine municipal, se dédouanant donc des règles du droit de réponse imposant une taille limite et un délai restreint pour transmettre une réponse. Ici, ce sont des doubles-pages qui sont dédiés à la réponse aux journalistes.

Les élus majoritaires d’Hénin-Beaumont publient des “droits de réponse » aux articles de la Voix du Nord – Magazine municipal de la Ville d’Hénin-Beaumont (Octobre 2021)

Une véritable guerre entre mairie et presse qui ne se parlent quasiment plus, malgré quelques tentatives de “réconciliation”.

Enfin, le droit de réponse sert aussi de communication politique pour la mairie frontiste qui l’utilise à la place d’une interview par un journaliste. C’était par exemple le cas pour le droit de réponse n°83, publié dans La Voix du Nord d’Hénin-Beaumont.

Commentaire des journalistes de la rédaction en réponse au droit de réponse n°83 de la municipalité d’Hénin-Beaumont publié dans La Voix du Nord

Comme l’avoue lui-même Bruno Bilde, “pour 5,50€, [il] publie ce qu’il veut” (La Revue des Médias). En effet, tant que le sujet du droit de réponse a un lien avec la thématique de l’article dénoncé, le requérant peut écrire ce qu’il souhaite.

Il est même arrivé qu’un droit de réponse soit envoyé après un article de présentation des candidats à des élections. C’est ce qui s’est passé en juin dernier lors des élections départementales. Un soutien du candidat de gauche (le Président de l’Agglomération Hénin-Carvin, Christophe Pilch) avait cité le nom de Steeve Briois et avait sous-entendu le peu d’intérêt des deux conseillers départementaux RN pour leur canton. Ce à quoi les trois élus ont adressé chacun un droit de réponse sur la même phrase (problématique pour eux), formant ainsi les droits de réponses 85, 86 et 87.

Droits de réponse n°85, 86 et 87 suite à l’évocation des noms d’élus municipaux dans un article de présentation de candidats aux élections départementales de juin 2021       

Une guerre sans fin ?

Comme on le suspecte, le cadre très large et finalement assez peu limitant de l’article 13 de la loi de 1881 permet aux acteurs de tester les limites de celui-ci. En effet, le problème majeur de ce droit de réponse est qu’il peut être infini, une véritable guerre sans fin. Il n’a pas de limites dans le sens où le journaliste peut accompagner un droit de réponse de commentaires. Ainsi, la personne qui a usé en premier lieu du droit de réponse, peut tout à fait répondre aux commentaires ajoutés. C’est d’ailleurs ce qui se passe depuis plusieurs années entre la mairie d’Hénin-Beaumont et La Voix du Nord. Il est facile de deviner jusqu’où peuvent aller ces chaînes de réponses : un droit de réponse accueille des commentaires, qui eux-mêmes amènent un droit de réponse et ainsi de suite. Dans une municipalité où journalistes et élus sont en guerre constante pour le dernier mot, il est évident que les droits de réponse s’accumulent. Cette loi est si facilitante qu’elle est d’ailleurs une tactique facilement utilisée, comme l’écrit Libération : « Écrivez que le Front national est « raciste », il ne poursuivra pas pour diffamation, mais exigera un droit de réponse. Autant il est difficile au Front national de prouver qu’il n’est pas « raciste ». Car s’affronteraient alors à la barre des témoignages et des offres de preuve risquant fort de finir en déroute judiciaire.”

Le droit de réponse n°96 (à gauche) avec la note de la rédaction rajoutée pour amener des précisions ou des justifications (à droite)

Une autre limite avec le droit de réponse est que même s’il est contrôlé dans une certaine mesure par la loi, tout peut être dit dans un droit de réponse tout en se référant directement au sujet abordé par l’article d’origine. Ainsi, une personne ou une entité, tout en respectant la loi et la bienséance, peut répondre ce qu’elle veut. Cela devient donc presque une tribune et non une réponse apportant des précisions, comme c’est souvent le cas avec les droits de réponse du Rassemblement National à Hénin-Beaumont et dans les journaux municipaux. C’est ce qu’a fait de nombreuses fois le parti des Le Pen. Libération écrit sur le sujet : “Un tournant a été amorcé le 19 janvier 1994 par la 1re chambre du tribunal de grande instance de Paris. Innovant en la matière, le président Alain Lecabarats a refusé d’ordonner une insertion. Selon lui, le droit de réponse est sans doute absolu, mais il ne peut justifier de «recours abusif» au droit de la presse dans le but de bénéficier «d’une tribune libre et ouverte à laquelle ne pourraient se soustraire les organes de presse»” 

Cela peut même mener à la publication de fausses informations, comme le dénoncent plusieurs médias dont France Info et le Monde en février 2019 après une déclaration de Marine le Pen. Dans un discours, elle avait posé cette question “est ce normal qu’un migrant fraîchement débarqué touche plus qu’un retraité ayant travaillé toute sa vie ?”. Elle écrivait alors sur son site : “Cette interrogation a immédiatement suscité la réaction indignée des médias, m’accusant, avec les mêmes arguments et jusqu’à la même formulation, d’avoir diffusé une fake news ou infox. Pris dans une sorte de mouvement de foule médiatique, aucun journaliste n’a, à aucun moment, pris la peine de vérifier mon propos puisque j’avais tort par principe. Et pour les rares qui l’ont fait, la présentation des faits fut volontairement tronquée ou suffisamment incomplète pour me contredire.” 

En comparant des données sur les différentes allocations pour les demandeurs d’asile ou les retraités, les médias prouvent que cette affirmation est fausse. Avec l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), un migrant peut, en combinant avec d’autres aides et ressources, toucher autour de 440,20 euros par mois (en 2019). Grâce à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), un retraité peut toucher au maximum 868,20 euros par mois. Dans sa réponse, Marine le Pen évoque ces chiffres, mais nuance toutefois en évoquant une situation injuste pour les retraités qui cotisent toute leur vie, contrairement aux migrants et au fait que ces retraités ne la demandent que rarement à cause du fait qu’elle “est remboursable par les héritiers sur la succession, ce qui incite souvent les retraités modestes à ne pas la demander afin de laisser « quelque chose » à leurs enfants”, explique-t-elle.

Dernier problème avec ce droit de réponse : les médias peuvent être facilement mis en cause pour ce qu’ils doivent publier, qu’ils considèrent comme étant faux ou bien qu’ils considèrent comme contraire à leurs opinions. Certains organes de presse prennent d’ailleurs le risque de refuser la publication d’un droit de réponse qui va à l’encontre de leurs convictions. Libération explique : “Le 17 avril, la 11e chambre de la cour de Paris donnait raison à Libération, cette fois contre Jean-Marie Le Pen. Le 29 septembre 1994, reprenant un point de vue publié par le Figaro, nous avions titré « Jean-Marie Le Pen s’en prend aux six millions d’étrangers ». Réclamé par Jean-Marie Le Pen, le droit de réponse était refusé par Libération. A raison, estiment les juges, car « pour absolu qu’il soit, le droit de réponse est attaché à un fondement, celui de la défense de la personnalité ». Or, relève la cour, le texte du leader du FN « a pour objet, dès sa deuxième phrase, d’exposer les thèses du parti dont il est président »”. 

Là encore, on revient à cette idée de tribune qui peut mettre en cause le travail du journaliste comme l’explique Pascal Wallart : “Nous publions les droits de réponse avec un décryptage, parfois pour souligner leur caractère absurde, parfois pour contredire les propos. La mairie adresse alors un nouveau droit de réponse, etc.”. Une situation qui peut tendre les relations entre les élus de la municipalité qui se sentent menacés et les journalistes qui ne peuvent faire leur travail. Une situation qui semble en effet sans fin. 

Mais que dit la loi ?

Le droit de réponse est encadré par la loi. Il est en effet inscrit à l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comme suit : “Le directeur de la publication sera tenu d’insérer dans les trois jours de leur réception, les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique quotidien sous peine de 3 750 euros d’amende sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts auxquels l’article pourrait donner lieu.” En plus de ces 3750 euros d’amendes, le directeur de publication peut aussi être condamné à trois mois d’emprisonnement. 

Il permet à une personne de répondre à une mise en cause publiée dans un organe de presse ou tout type de média type audiovisuel ou sur internet.

La réponse doit être mise à la même place et en même caractère que l’article d’origine. En plus de devoir être gratuit, le droit de réponse ne peut en effet pas être plus long que l’article d’origine.

Pour ce qui est du délai, la personne qui veut user de son droit de réponse à trois mois pour le faire à partir du moment de la publication, de la diffusion ou du partage du message sur Internet. Dans sa réponse, l’auteur doit respecter la loi et le journaliste ou l’organe de presse et il ne peut mentionner que les sujets abordés dans la publication initiale.

Margaux Chauvineau et Benjamin Grischko