A Sciences Po Lille, des étudiantes témoignent d’agressions sexuelles

Un ancien étudiant mis en examen à Toulouse, la multiplication des manifestations, une multitude de témoignages sous le hashtag #SciencesPorcs, la démission de Frédéric Mion, directeur de Science Po Paris… C’est un véritable raz-de-marée qui a déferlé sur l’institution Sciences Po.

En mars 2020, peu s’en souviennent tant cette actualité avait été balayée par l’annonce du premier confinement, des témoignages de harcèlement sexuel secouaient Sciences Po Paris. Un an plus tard, ce sont des centaines de récits qui mettaient en cause les instituts d’études politiques visant à former les « décideurs de demain » pour des récits de violences sexuelles et sexistes.

Une libération de la parole que certaines « attendaient depuis des années ». Sur les bancs de Sciences Lille, des étudiantes n’hésitent plus à partager leurs agressions dont elles ont été victimes au cours de leur cursus. Et les récits sont explicites.

Les bizutages en soirée d’intégration

Lisa* a parcouru les murs de l’établissement pendant 5 ans. Elle se remémore le week-end d’intégration de 2012 « où les filles étaient poussées à se déshabiller, jugées sur leur sexualité et traitées de putes ».

Mais au-delà de ces excès, elle se souvient de l’étudiant qui l’a embrassé sans donner son avis. « Il m’a rétorquée « une fille comme toi devrait être contente qu’un mec comme moi s’y intéresse ». Parce que Lisa est issue d’une famille d’ouvriers, elle n’a pas voulu en parler : « Dans ces institutions, il y a des barrières, de l’entre-soi, tout le monde se connaît ».

Le calvaire dura 2 ans et demi. Cours, repas du midi, et même une fois rentrée chez elle, le harcèlement sexuel continuait. « Il me proposait très souvent de venir passer la soirée chez lui. J’ai toujours refusé, et les insultes fusaient » se souvient la jeune femme. « Pute, salope, coincée », Lisa était catégorisée par son agresseur comme une fille facile.

« Je ne l’ai jamais remonté à l’administration, je me sentais ultra-responsable, se rappelle-t-elle ». De plus, le jeune homme en question jouissait d’une bonne réputation au sein de l’établissement. « J’avais peur de m’en prendre à une personne appréciée de l’école, qu’on dise que c’était ma faute », explique Lisa. 

Après le changement d’établissement du garçon pour de mauvais résultats, Lisa n’a pas réussi à reprendre une vie normale. « Quand j’ai vu les réseaux sociaux s’inonder de récits similaires, je me suis dit qu’il était temps de parler ». Mais au lieu de libérer sa parole, ses accusations ont eu un effet inverse. « On m’a clairement dit que ce que j’avais vécu n’était pas aussi grave que certaines, que je devais me taire car ma voix ne comptait pas » se désole la jeune femme.

« On ne peut pas comparer un bisou volé à une véritable agression sexuelle… »

Aujourd’hui, Lisa ne sait pas où est sa place ; « ils ont réussi à me faire penser que je n’étais pas une victime ». Si la jeune femme, aujourd’hui entrepreneuse, regrette le silence dans lequel elle s’était enfermée, elle refuse de blâmer l’institut : « c’est un problème structurel dans le supérieur, qui n’est pas propre à Sciences Po, il existe la même chose dans des facultés publiques ou privées ».

Un traumatisme au quotidien

Tout comme Lisa, Clémence*, étudiante en quatrième année, dit avoir subi du harcèlement sexuel lors du gala d’hiver. Deux ans plus tard, elle s’est sentie prête à mettre des mots sur les maux qui l’ont rongée. « Je ne veux plus être perçue comme une victime, mais plutôt comme une survivante » s’exclame-t-elle.

L’étudiante n’a pas eu la force de déposer plainte ou de se tourner vers les instances de l’école. Même si les faits se sont déroulés il y a quelques années, elle est toujours aussi émue, face à ce souvenir douloureux.

« J’étais saoule ce soir-là, se rappelle-t-elle. Un garçon, plus âgé, m’a vue dans cet état, s’est approché de moi ». L’étudiant tente alors de l’attirer dans un coin, pour se retrouver seuls, « j’étais trop ivre pour me retirer de son emprise, mais heureusement, mon meilleur ami est arrivé et nous a séparé ». Un geste qui a probablement évité le pire. 

Pourtant, le reste de la soirée ne s’est pas déroulé comme prévu.  « C’était bizarre. Il y avait quelque chose qui me gênait, j’étais saoule mais je sentais que ce n’était pas forcément l’alcool qui me faisait sentir mal ». Ce n’est que quelques heures plus tard qu’elle se rend compte de ce qu’elle avait vécu : Clémence avait été droguée. « J’ai cru que je devenais paranoïaque, mais mon ami m’a accompagné me faire dépister. J’avais du GHB dans le sang ».

Malgré les conseils de son ami et des professionnels de santé, Clémence a elle aussi refusé de porter plainte. « Pendant des années, j’ai fait des crises d’angoisse, je refusais d’aller en soirée, j’étais obnubilée par cette histoire et ça a impacté mon cursus scolaire ». Aujourd’hui, la jeune femme consulte un psychologue régulièrement. Elle recommence petit à petit à sortir, mais elle n’est jamais seule. Elle encourage néanmoins les autres « survivantes » à prendre la parole : « les réseaux sociaux, c’est bien, c’est une énorme caisse de résonance. Mais il faut continuer dans cette voie en allant porter plainte », une chose que Clémence regrette aujourd’hui.

Pourtant, au sein de Sciences Po Lille, certains étudiants, appuyés par le syndicat Solidaires Etudiant-e-s, affirment que certains signalements auprès de l’administration ont été remontés, sans réponse concrète. Des propos que Pierre Mathiot, le directeur, conteste fermement, parlant même sur le plateau de France 3 Nord-Pas-de-Calais, « une diffamation pure et simple », tout en assurant n’avoir « jamais eu un signalement des actes indiqués ici ». Sur le même plateau, le directeur reconnaissait que les systèmes de prévention et d’écoute mis en place par l’école ne sont peut-être pas suffisants. « Je le prends comme un défaut de notre part, admet-il. On ne s’est pas organisé pour entendre cette parole. Mais entendre cela me scandalise profondément ». Malgré nos sollicitations, Sciences Po Lille n’a pas voulu répondre à nos demandes.

*les prénoms ont été modifiés.

Claire Boubert