Ukraine : « ceci n’est pas un mème, c’est notre réalité »

Alors que la guerre est de retour en Europe pour la première fois depuis l’éclatement de la Yougoslavie, il y a exactement 30 ans, Internet devient un terrain privilégié, notamment par l’Ukraine et ses soutiens.

Le tweet de provocation du compte twitter officiel de l’Ukraine à l’encontre de Vladimir Poutine.

La Guerre du Golfe de 1990-1991 marque l’histoire des médias mondiaux: pour la première fois, un conflit est filmé et diffusé en direct. Il y a des chances que l’on se souvienne du conflit qui vient d’éclater entre la Fédération de Russie et l’Ukraine comme étant le premier conflit à avoir autant bénéficié des mèmes, images et textes duplicables à l’intérêt, souvent humoristiques, toujours terriblement efficaces pour diffuser une idée ou un état d’esprit.

Une communication de guerre… sur Twitter

Depuis le début de l’invasion russe du territoire ukrainien, le 24 février, la communauté internationale a, dans son ensemble, déclaré son soutien envers le peuple ukrainien. Mais ce sont aussi les peuples qui se sont mobilisés pour dénoncer le bellicisme de Vladimir Poutine: on a vu de nombreuses manifestations de soutien organisés dans les grandes villes du monde, mais le soutien se retrouve aussi sur Internet, et plus particulièrement Twitter. Il faut dire que le réseau social est utilisé par le gouvernement ukrainien lui-même afin d’obtenir la reconnaissance de la majorité. L’humour, voilà un excellent moyen d’alerter sur la situation du pays: déjà en décembre, au moment où le conflit entre les deux pays n’était que diplomatique, le compte Twitter officiel de l’Ukraine postait une variante du « mème de la migraine » (« headache meme »). La Russie, un voisin turbulent ? Autant dire qu’il n’y a plus vraiment de quoi rire aujourd’hui. Le compte de l’Ukraine est suivie par 1,4 millions d’utilisateurs et, pendant longtemps, il se contentait de poster des photos touristiques, des tweets-hommages en l’honneur des figures ukrainiennes (artistes, scientifiques, sportifs) mais la réalité diplomatique l’a rattrapé. Aujourd’hui le compte est devenu un outil d’information et de propagande – non pas dans le sens totalitaire du terme mais bien dans celui de persuasion politique et diplomatique de l’opinion politique internationale. Dernier exemple, sans doute le plus important: le jour même où les troupes de Poutine traversent la frontière, le compte poste l’illustration d’Hitler, semblant chérir le chef d’État russe comme s’il s’agissait de son propre enfant. En plus de l’image, on pouvait lire: « Ceci n’est pas un mème, c’est notre réalité ».

Cette communication décalée n’est pas sans rappeler celle du président ukrainien Volodymyr Zelensky: quand on est un comédien, on a pas peur de se montrer devant la caméra. Et justement, un des atouts les plus importants des Ukrainiens pour obtenir la compassion, c’est bien leur président. Nombreux sont ceux qui ont été impressionnés par son nouveau rôle: celui de chef de guerre. Ce rôle là, personne ne souhaite l’endosser, et pourtant c’est comme s’il s’agissait du rôle de sa vie. Zelensky se met en scène: celui qui a refusé de quitter Kyiv l’assiégée se filme avec son Premier ministre Chmyhal et d’autres membres du gouvernement, en plein milieu de la rue. Il a également le goût de la formule: vous connaissez probablement déjà sa réponse au gouvernement américain qui lui proposait de l’exfiltrer – « j’ai besoin de munitions, pas d’un taxi ».

Saint Javelin, le fantôme de Kyiv et les tournesols

Qu’est-ce donc que cette liste ? Des mèmes. Mais pas n’importe lesquels: ceux-ci ont été utilisés par les Ukrainiens et pro-Ukraine sur le réseau social afin de témoigner de leur soutien envers la défense de ce pays. Et l’usage de l’humour est, ici aussi, important. Premier exemple: « Saint Javelin », illustration qui est devenue l’icône officieuse du camp ukrainien. D’auteur inconnu, elle représente Marie-Madeleine, disciple du Christ, vénéré par les Chrétiens orthodoxes. Sa représentation s’inspire des icônes orthodoxes, à ceci près que son auréole teinté de bleu contient le blason de l’Ukraine, le Tryzub, datant du Douzième siècle. Autre détail, le plus important: elle tient dans ses bras un javelin, autrement dit une arme lance-missiles anti-aérien d’invention britannique. Ces armes ont été achetées en 2018 et, on l’a compris, les Ukrainiens en ont besoin… Saint Javelin est aussi le nom d’un site de soutien aux Ukrainiens: on peut y faire des dons pour reloger les enfants et soigner les blessés de la guerre. On peut acheter des produits, du merch qui semble confirmer l’importance des symboles et des icônes pour le camp ukrainien: stickers représentant le Tryzub, t-shirts affichant la citation de Zelensky citée plus haut, drapeaux contenant la sainte-protectrice et son projectile anti-aérien… C’est toute une avalanche de symboles qui ont débarqué sur Twitter: évidemment on retrouve les couleurs du drapeau national ukrainien mais aussi les émoji tournesols. Le tournesol est considéré comme la plante nationale ukrainienne: le pays représente la moitié de l’exportation d’huile de tournesol dans le monde. Les soutiens du pays utilisent cet émoji en masse pour exprimer leur encouragement.

Une belle aubaine pour le gouvernement, qui reprend à son compte certain de ces mèmes: c’est le cas de la légende urbaine du « Fantôme de Kiev ». C’est sous ce nom qu’on surnomme cet hypothétique as de l’aviation ukrainienne qui, dès le premier jour du conflit aurait détruit 6 avions de chasse russes. Encore une fois, le compte twitter officiel de l’Ukraine diffuse une vidéo en l’honneur de cet aviateur dont l’existence reste à confirmer, car si la destruction de ces avions est réelle, on ne sait pas si ils ont été détruits pas le même aviateur. Il serait probable que cet aviateur héroïque soit un personnage fictif dont le but serait d’apporter du courage chez les Ukrainiens. Autant il est impossible de savoir ce que sera la suite de ce conflit, autant nous pouvons d’ors et déjà dire que l’Ukraine remporte la guerre d’opinion dans le monde occidental, et l’usage de Twitter par le gouvernement comme de ses soutiens n’y est pas pour rien.

Ferdinand Chenot