Ce dimanche 20 février, des autonomistes bretons ont déployé le plus Gwenn-ha-du (drapeau breton) au monde. Une manière de rappeler leur revendication historique du rattachement de la Loire-Atlantique à la région Bretagne par le biais de l’organisation d’un référendum.
La Bretagne semble jalouse du peu d’autonomie que le gouvernement français lui laisse. Il ne s’agit pas de refaire l’histoire mais de rappeler la blessure, pour certains autonomistes bretons, qu’a constitué la politique de centralisation menée à la suite de la révolution française. Jusqu’alors Duché semi-indépendant, grâce à une habile politique tantôt tournée vers la France tantôt vers l’Angleterre voire la Bourgogne au gré des circonstances politiques, la Bretagne a été unie (annexée, diront les mécontents) à la France en 1547, par les effets du mariage d’Anne de Bretagne et de Charles VIII célébré le 6 décembre 1491. Si elle perdait toute latitude pour mener une politique extérieure libre, l’ancien régime lui laissait au moins l’avantage de mener sa propre politique locale.
La séparation
La révolution, la centralisation et le processus démarré au XIXème siècle d’unification culturelle française, au détriment de la langue et de la culture bretonne, ont donc créé des rancoeurs. On connait aussi les mythes propagés au XXème siècle. Au delà du recul de la langue bretonne, il y a l’anticléricalisme de la IIIème République, qui passa mal dans cette région attachée au catholicisme. En Bretagne, circule l’idée que des bretons auraient été inutilement sacrifiés sur la ligne de front lors de la Première Guerre mondiale, ne comprenant pas les ordres de leurs officiers français (Des histoires similaires se retrouvent en Corse, et, dans une moindre mesure, en Flandres).
La Seconde Guerre mondiale, la débâcle de 1940, l’occupation de la moitié nord de la France ont suscité quelques inquiétudes du côté du gouvernement français du Maréchal Pétain. Mais il serait faux de dire que la séparation de la Loire Atlantique de la région Bretagne émanait de la volonté du régime de Vichy, craintif d’une supposée volonté allemande de jouer la sécession de la Bretagne pour servir leur propre intérêt. Il faudrait plutôt remonter à un décret du 5 avril 1919 d’Etienne Clémentel, ministre du Commerce et de l’Industrie de Georges Clemenceau, instaurant 15 groupements d’intérêts régionaux autour des principales chambres de commerce. Dans ce découpage, les villes de Rennes et Nantes ont toutes les deux leur propre groupement. D’ou une séparation qui se maintiendra durant le rédécoupage des régions mené par le gouvernent de Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes, malgré l’intense lobbying exercé par certains élus bretons pour « réunifier » le département de Loire-Atlantique avec le reste de la région Bretagne.
Pour ou contre
Les arguments sont connus. Résidence des ducs de Bretagne, la ville de Nantes et sa région sont d’évidence liées à la Bretagne. Dans sa longue histoire s’étendant de l’an 939 à 1547, la région nantaise a toujours été partie intégrante du Duché de Bretagne. En 2022, si la Loire-Atlantique était « réunie » à la Bretagne, elle verrait bien sur sa population augmentée d’1,5 millions d’habitants, et aurait un potentiel économique agrandi par le dynamisme de la métropole nantaise avec, notamment, ses installations pétrochimiques et portuaires.
Les contre d’abord. Pour Morgane, originaire de Rennes « j’entends la revendication, je comprends certains arguments mais je ne la soutiens pas. Certes, la Loire Atlantique appartenait à la Bretagne, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Concentrons-nous sur le présent et sur le futur pour construire une véritable identité bretonne plutôt que sur le passé. Et puis si la Loire Atlantique était rattachée à la Bretagne, la question de la capitale de région se poserait, alors que Rennes s’est déjà clairement imposée dans le rôle. » Marin, fier nantais, va dans le même sens (excepté, on s’en doute, le constat d’une supposée supériorité régionale de Rennes par rapport à Nantes), en ajoutant : « je suis né à Nantes et je me suis toujours senti breton. Je pense que la séparation de Nantes de la Bretagne s’est produite à un moment de l’histoire où la politique de Paris était de réduire la puissance des régions. Aujourd’hui, la ligne directrice de l’État est de justement les renforcer pour mieux décentraliser. La seule raison que je vois pour empêcher cette réunification que beaucoup de gens souhaitent est purement formelle : c’est à dire qui de Rennes ou de Nantes deviendra le centre administratif breton. »

Pour Clément, lillois attaché à ses racines bretonnes par son père, les choses sont claires « Je ne soutiens pas ce mouvement puisque même si elle est surnommée cité des ducs de Bretagne. Nantes n’est pas en Bretagne mais en Vendée. Le Breton est fier mais jamais il ne se risquerait à sacrifier son économie en demandant une autonomie ou l’indépendance car l’agriculture représente une grande partie des revenus de la région et qu’elle est très largement financée par l’État.« .
Pour les partisans de ce rattachement, l’important est la réparation d’une injustice. Résolument en faveur d’une « Bretagne réunifiée » Maryann, originaire du Finistère, nous explique : « Je soutiens cette revendication, je pense que la Loire Atlantique doit redevenir bretonne. Historiquement et culturellement, ça serait totalement logique. Le problème reste économique et un référendum permettrait enfin de donner la parole aux Bretons concernant le futur de notre région ! ».
Il y a également les en même-temps, soucieux avant tout d’élargir les perspectives qu’offriraient ce rattachement administratif. Kevin, de coeur et de sang breton, précise « en soi, je n’ai pas forcément d’avis tranché sur la question précisément, après quand on revient dans l’histoire de ce territoire, le pays nantais, c’était bien un des pays de la région historique de Bretagne. (…) Là on parle de régions administratives, la Loire Atlantique est un département et ici, se pose bien une question avant tout administrative, un redécoupage des régions, qui serait nécessaire. Il y a une différence avec les autres pays européens, contrairement à l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie, la France n’est pas un pays fédéral. Contrairement à la Catalogne par exemple, en France, on imagine pas la Bretagne avec une certaine autonomie. Je reste tout de même défenseur de l’autonomie de certaines régions comme la Corse, l’Alsace, et c’est déjà le cas, ce sont des collectivités uniques. Si ce rattachement est dans l’intérêt de la Bretagne, pourquoi pas. »
La crainte d’un précédent
La Bretagne ne constitue pas un exemple isolé d’une terre culturellement forte. À mesure que la francisation s’est plus ou moins installée dans le pays, d’autres régions revendiquent leur spécificité et aimeraient que celle-ci soit consacrée par la loi, afin de protéger cette héritage et de le transmettre aux générations suivantes. Pensons à la Corse, bien sûr, mais aussi à l’Alsace et au Pays-Basque. Dans un degré moindre, pensons aux Flandres françaises, à l’Occitanie ou encore à la Savoie.
Morgane approuve « je pense que ces mouvements-là n’ont pas besoin du modèle de la Bretagne pour avoir leurs propres revendications, ils se débrouillent très bien seuls. En revanche, c’est sûr que si on accédait aux revendications de la Loire Atlantique, ça créerait un précédent qui pourrait servir d’argument aux autres mouvements. » Maryann pour sa part, ne craint pas ce risque, trouvant au contraire qu’il s’agit de revendications légitimes « C’est possible que ça suscite d’autres mouvements similaires mais si c’est le cas, c’est que ça devait arriver. La Corse, par exemple, n’a pas besoin de l’exemple breton pour avoir une forte identité régionale. » Kevin est serein vis à vis de ce risque « Je ne pense pas que cela va pousser à une volonté d’autonomie et encore moins à une volonté d’indépendance pour la Bretagne comme pour d’autres régions spécifiques. Et puis d’autres problèmes plus concrêts se poseront, quel chef-lieu d’une Bretagne réunifiée ? Rennes ou Nantes ?« . Marin partage également cette vision « je pense que la volonté de réunification de la Bretagne et de la région nantaise n’ont rien à voir avec celle d’un indépendantisme régional. Au contraire, il s’agit d’ouvrir davantage une région qui a tendance à se refermer sur elle-même, avec le retour d’une ville qui attire des populations de la France entière. »
Une chose est certaine, si une « Bretagne réunifiée » doit advenir, elle ne le serait que par la loi. Les politiques restent discrets sur cette question, il y a d’autres priorités dont une qui n’est pas des moindres : élire le prochain Président de la République. Il faudra choisir ensuite une majorité lors des élections législatives, qui fixera ses priorités politiques. Il n’est pas certain que la réunification de la Bretagne en devienne une. Mais ses partisans savent attendre. Cela fait un siècle que la région nantaise et la Bretagne vivent en régime séparé.
Antoine Béghin
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