A l’occasion de la sortie de la bande-annonce de Nope, le prochain film de Jordan Peele qui sortira le 3 août 2022, il est intéressant de se pencher sur l’évolution des personnages noirs dans le cinéma américain. Les clichés et stéréotypes sont bien nombreux et les types de rôles qui leur sont donnés sont très souvent les mêmes. Tour d’horizon d’une page du cinéma américain qui peine à être tournée.
Le cinéma a été pendant longtemps ouvertement raciste, c’est un fait. Aux débuts d’Hollywood, les personnages noirs étaient joués par des blancs, le visage peint. Pas étonnant alors que la ségrégation raciale aux Etats-Unis n’a été abolie officiellement qu’en 1964. On retrouve la blackface (littéralement « visage noir ») par exemple dans la première version de La Case de l’Oncle Tom de 1903 réalisé par Edwin S. Porter. Comme l’écrit Laure-Anne Cari, dans son mémoire Les Noirs dans le cinéma américain : des stéréotypes raciaux à la représentation d’une véritable identité, « la toute première représentation du Noir à l’écran n’est pas confiée à un authentique homme de couleur, c’est plutôt une projection de ce que le producteur, le réalisateur et l’acteur perçoivent et veulent montrer de l’Homme noir du début du 20e siècle. » Naissance d’une Nation de D. W. Griffith (1915) est aussi un très bon exemple de ce phénomène. Ce film est considéré comme le premier blockbuster produit à Hollywood, mais aussi l’un des films les plus racistes jamais réalisés. On y met à l’honneur le Ku Klux Klan et on y retrouve des personnages noirs présentés comme des violeurs, des sauvages, des sous-hommes.

Des rôles très clichés
Au fil du temps, des personnages joués par des acteurs noirs sont mis en scène, mais ils restent cantonnés à des rôles très stéréotypés, majoritairement personnages secondaires : le pote marrant, le mentor, la nounou ou domestique noire souriante qui cuisine, l’esclave, le sportif, le criminel… Certains acteurs sont d’ailleurs catalogués dans ces rôles. Morgan Freeman par exemple a très souvent le rôle d’un mentor : Lucius Fox dans the Dark Knight (2008), le professeur Samuel Norman dans Lucy (2014), le Président des USA dans La Chute de Londres (2016), jusque Dieu dans Bruce Tout Puissant (2003).
Il existe aussi ce cliché du Noir qui se fait toujours tuer dans le film, et parfois en premier. Qui n’a jamais essayé de deviner qui allait mourir devant un film d’horreur ou un thriller ? On remarque que très souvent ce choix se porte sur le personnage noir qui se retrouve être la chair à canon ou le personnage sacrifié, comme si son importance au scénario était moindre. On peut prendre l’exemple de Ray Arnold (Samuel L. Jackson) dans Jurassic Park (1993), Dick Hallorann (Scatman Crothers) dans The Shining (1980), Parker (Yaphet Kotto) dans Alien (1979), Mac (Bill Duke) dans Predator (1987), le professeur de biologie (Glynn Turman) dans Gremlins (1984) et bien d’autres. Comme il a été relégué au second plan pendant très longtemps et qu’il n’est pas le personnage principal, logiquement, ses chances de survie sont assez basses.

Détruire les clichés
Pour faire face à tous ces stéréotypes, des réalisateurs comme Spike Lee ou Jordan Peele mettent la main à la pâte pour remettre à l’honneur ces personnages noirs trop souvent délaissés et malmenés. En les introduisant en tant que personnages principaux, ils placent sur le devant de la scène ces Afro-Américains, sans pour autant pointer du doigt leur couleur de peau. Ils leur créent une histoire sur mesure comme Jordan Peele avec l’effrayant Us (2019), mettant en scène une famille Afro-américaine dans ce film d’horreur, un genre qui a toujours été très souvent réservé aux Blancs en termes de personnages principaux. On peut aussi citer Black Panther (2018), qui a porté à l’écran le premier super-héros noir ou Moonlight (2016), qui raconte l’histoire de Chiron, homme noir essayant de vivre son homosexualité dans un milieu difficile.
Selon une étude de 2018 de l’Université de Californie de Los Angeles, 13,9% des personnages principaux dans les films hollywoodiens proviennent des minorités, alors qu’elles représentent près de 40% de la population américaine. Mais tout n’est pas négatif. En 2021, Variety a sorti une enquête sur l’évolution de la représentation des Noirs dans les films et séries durant la pandémie. Selon le magazine, 70,5 % des séries proposées pendant la pandémie avaient un personnage principal noir, contre 65,8 % avant. Même chose pour les films : 56,1% avant à 58,7 % pendant.
Aujourd’hui, un phénomène inverse fait beaucoup réagir. Avec la bande-annonce de la nouvelle série Seigneur des Anneaux : Les Anneaux de pouvoir, qui a révélé contenir des personnages noirs ce qui a fait réagir la communauté de fans dénonçant un monde qui, selon les mythes de Tolkien, ne devrait pas en avoir. Anachronismes, manque de réalisme, histoire non fidèle, les arguments se multiplient contre ce qu’on appelle le blackwashing, des personnages d’œuvre d’origine décrits comme blancs, qui adaptés à l’écran, sont joués par des acteurs noirs. Un exemple : la série Cursed (2020) dans laquelle Arthur est joué par Devon Terrel, un acteur noir. Mais réadapter les mythes n’est pas une nouveauté, dès l’Antiquité, les auteurs s’inspiraient de leurs époques et modifiaient leurs légendes en fonction. Alors cessons de se focaliser sur les couleurs de peau au détriment des minorités, car comme Jordan Peele dit, « si un film est bon, alors des acteurs noirs ou blancs ne font aucune différence ».
Margaux Chauvineau
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