Les librairies ont le vent en poupe: pendant les heures les plus usantes de la pandémie, celles-ci n’ont pas démérité et les Français se sont rués vers leurs libraires indépendants. Mais ce n’est pas pour autant un métier de tout repos: Jean-François Planche, créateur de la librairie « La Petite », rue Colbert, témoigne de son parcours.
J’aimerais d’abord vous connaître : quel est votre parcours ? Libraire est-elle votre première profession ? Est-ce un projet mûri de longue date ?
« J’ai fait un BAC G2 (comptabilité) puis une Licence de Lettres Modernes à Lille III. À 55 ans, libraire n’est « naturellement » pas ma première profession. J’ai longtemps été graphiste : quelques années en salarié et très vite, à 27 ans, j’ai créé mon studio de création (Page à Page). Dans les années 2000, j’ai étendu l’activité de graphisme à l’édition littéraire (une quarantaine de livres publiés dont Marie Desplechin et Laura Kasischke). Les éditions Page à Page sont encore en activité aujourd’hui, j’en suis un associé minoritaire. La librairie s’est donc imposée progressivement comme le prolongement logique de l’édition. Il aura fallu 18 mois pour faire aboutir le projet de librairie. Cette activité ne s’improvise pas car c’est un investissement relativement important (35 000 €). De plus, l’ouverture a dû être différée à cause de la pandémie. »
Quand avez-vous créé votre librairie ? Pourquoi vous être installé ici ?
« La librairie a ouvert en juin 2021. Je me suis installé rue Colbert à Lille car, depuis la fermeture de la librairie Saint-Michel rue Nationale, il y avait une place à prendre. Ce n’est pas simple de trouver un local commercial et, surtout, il y a déjà de nombreuses librairies à Lille (une quinzaine). Comme nous vendons les mêmes livres aux mêmes prix (la loi Lang impose le prix unique du livre), il est capital de ne pas avoir de concurrents trop proche. Il fallait donc un lieu où la densité de population est importante et où les habitants ont un certain pouvoir d’achat. La clientèle d’une librairie de quartier s’étend sur un périmètre de 10 minutes à pied. Tous ces paramètres font que le choix était limité. Cela dit, je pense qu’il y a encore une place à prendre à La Madeleine. »
Qu’est-ce qui vous a permis de vous décider à fonder votre librairie ?
« Globalement, je pense qu’on crée son entreprise par besoin d’indépendance (autrement dit : par inaptitude au statut de salarié). La librairie est un domaine plutôt rassurant. La demande existe, la révolution technologique peu probable et, en France, ce secteur est particulièrement protégé par la loi Lang qui permet le maintien des librairies indépendantes. Par ailleurs, si la marge est faible (de l’ordre de 33 %), le risque l’est également puisque nous pouvons retourner les invendus. Enfin, il est agréable et plutôt valorisant de participer à la vie d’un quartier et de contribuer à la diversité des commerces. »

Avez-vous eu un appui ? Quelqu’un qui vous a accompagné dans votre projet ?
« Non, pas vraiment, je n’ai pas été aidé car je n’ai pas demandé d’aides ou de subventions. Le projet est entièrement autofinancé, notamment par la famille. J’ai l’indépendance chevillée au corps ! Je me suis tout de même rapproché de l’association des libraires des Hauts-de-France (Libr’aires) : son efficacité et leurs conseils m’ont été précieux. »
Je suppose que vous avez dû faire face à certains obstacles ? Que vous avez eu des doutes ?
« Oui, bien sûr. La saisonnalité est un vrai écueil dans ce quartier. En période de vacances scolaires (4 mois par an), les rues se vident et le chiffre d’affaires chute en proportion. Ensuite, je me suis heurté et je me heurte encore aux aléas de la distribution. Le réseau d’approvisionnement n’est pas très moderne et il y a toujours des incertitudes quant aux livraisons. Enfin, comme pour tout libraire, la surproduction éditoriale (43 000 nouveautés par an) s’avère ingérable au quotidien. Comment faire des choix dans cette masse que rien ne justifie ? Par ailleurs, la pandémie a évidemment eu un impact : les pénuries de papier ont compliqué les approvisionnements et de nombreux titres n’étaient pas disponibles (ce problème n’est pas encore résolu). Pour les doutes, je pense qu’ils sont indissociables de tout projet. Si je n’avais pas de doutes, je ne me lèverai pas le matin ! »
Si vous deviez « repartir de zéro », comment feriez-vous pour créer votre entreprise ? Quelles « erreurs » à ne pas refaire ?
« Je ferai sensiblement la même chose car, ayant déjà une longue expérience de la création d’entreprise, j’ai évité les grosses erreurs du départ. S’il fallait repartir de zéro, j’opterai sans doute pour un autre nom. « LA PETITE » n’est pas très compréhensible (et la plupart des clients disent « La petite librairie »). J’avais été séduit par le côté elliptique du nom (chacun voit bien que c’est une librairie) mais à l’usage, je me suis compliqué inutilement la vie. Aujourd’hui, je pense que « LA PETITE » s’appellerait « BILLY » ou bien « MONA LISA ». Si c’était à refaire, je ferai une formation assez longue chez un confrère. Là, j’ai dû tout apprendre très vite : logiciel, usages, approvisionnements, et les premiers mois ont été épuisants. Cela dit, je n’avais pas les moyens de passer 3 mois sans revenus et trouver un stage en pleine période de Coronavirus était quasi impossible. »
Avez-vous un conseil à ceux qui souhaitent se lancer et devenir libraire ?
« Oh là, non ! Mais je veux bien recevoir des conseils ! Je pense qu’il ne faut pas trop se conformer aux modèles existants car une librairie doit avoir une âme et une vraie personnalité. C’est le libraire qui fait la librairie et non un modèle économique imparable techniquement. Globalement, je pense qu’il y a deux façons d’envisager ce métier : avec une âme de poète (et, forcément, c’est intenable financièrement) ou avec une âme de comptable (et là, c’est simplement pénible). Je crois que l’enjeu est de trouver un équilibre entre ces deux extrêmes en insufflant une vraie personnalité qui se traduit notamment par le choix des livres et par l’ambiance que dégage la librairie. »
Ferdinand Chenot
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