Clients de la prostitution à Lille : qui sont-ils ?

Les raisons qui les poussent à l’acte, leurs expériences de vie, leur éducation… Peu d’information sur les clients de la prostitution circulent. Discrets, ils ont néanmoins certains points communs bien qu’il n’y ait pas de profil type : de fortes idées préconçues sur la prostitution, un tabou autour de la sexualité dans la famille ou une timidité avec les femmes dans la vie de tout les jours. Enquête sur les clients de la prostitution.

Pas de trace de clients dans le Vieux-Lille. De l’avenue du Peuple-Belge à la rue des Bateliers, en passant par l’IAE, lieux où se concentre traditionnellement la prostitution lilloise, seulement quelques filles sur le trottoir tentent d’attirer les passants. Mais les véritables clients se font rares. « La loi de 2016 a fait reculer le proxénétisme de rue pour que les clients ne se fassent pas repérer », analyse Philippe-Henry Honegger, avocat en droit pénal et spécialiste des affaires de prostitution. Alors comment les rencontrer ? La contrôleuse judiciaire Camille Pollin organise des stages de sensibilisation pour les clients pris sur le fait par les forces de l’ordre. « Ce sont des personnes très discrètes et honteuses de ce qu’elles ont fait » révèle-t-elle. Seules les grosses associations parviennent à recueillir des témoignages. C’est le cas du Mouvement du nid, organisation abolitionniste – dont le but assumé est de faire cesser la prostitution – et féministe, qui a mené une enquête de grande ampleur en 2004 sur un échantillon de 95 personnes. Et le bilan de cette étude est sans appel. Impossible de dresser le profil type du client tant les statuts sociaux sont variés et les raisons qui les poussent à l’acte diversifiées.

Qui sont-ils ?

« Cela peut être des copains qui payent, il y a les occasionnels, les dépendants… » liste Bernard Lemettre, ancien président du Mouvement du nid qui pilote aujourd’hui la branche lilloise de l’association. Il ne porte pas les clients dans son cœur. « Je les envoie se faire soigner », lâche-t-il, froidement. Dans l’enquête intitulée Les clients en question, quelques tendances se dégagent : les moins de 30 ans sont sous représentés, les plus de 50 ans majoritaires et 62.9% des hommes interrogés ne sont pas en couple. Mais les profils sont variés. Il y a les déçus de la vie de couple, les décalés de l’égalité qui pensent que les femmes ont trop de pouvoir, les isolés affectifs et sexuels…. Ce que Camille Pollin confirme : « Tous les milieux sont touchés. Le client peut être une personne avec un statut social élevé comme il peut être un ouvrier. » Pour elle, le recours à la prostitution dépend des circonstances de vie : « On peut dire que la personne qui a un statut social très élevé va considérer qu’elle a tous les droits. Acheter du sexe ou autre chose, pour elle, c’est pareil. Quelqu’un de célibataire depuis des années, veuf ou isolé cherchera un peu de tendresse. » D’ailleurs, 81% des clients estiment que leur timidité et leurs difficultés avec les femmes sont les raisons qui les poussent à l’acte. Et 60% considèrent qu’il existe un lien entre la solitude et l’angoisse et le fait d’être client.

Idées préconçues de la prostitution

Une chose est néanmoins sûre. Les clients sont souvent peu au fait des réalités de la prostitution. Bernard Lemettre dénonce une idée préconçue de la société : « Ils pensent souvent que ce sont des femmes expertes en la matière et qui aiment ça. C’est totalement faux. Les prostituées ont horreur de l’acte. » Le client s’attend à de la tendresse, de l’amour. Mais il se retrouve floué. « C’est après l’acte qu’il peut être dangereux. » Dans l’enquête du Mouvement du nid, ils sont 71% à avouer leur insatisfaction et leur absence de plaisir. Mais seulement 19% d’entre eux n’y retourne plus pour cette raison. Lors de ses stages de sensibilisation, Camille Pollin a déjà entendu des personnes dire que « les prostituées calment les pulsions et les ardeurs des hommes. Elles sont là pour éviter les viols. » Son travail consiste à déconstruire ces idées parfois d’une autre époque. « C’est aussi une question d’éducation. Certains y vont parce que leur père y allait, d’autres parce qu’ils avaient cette habitude à l’armée… » note-t-elle. Certaines concordances sont d’ailleurs soulignées dans l’étude sociologique. 70% des clients disent avoir eu une éducation marquée par un tabou autour de la sexualité et 20% ont connu leur première expérience à l’armée. Ils n’ont aussi généralement pas conscience de l’envers du décor : le nombre de passes en une journée, les MST, les proxénètes… Ni même de la loi qui les pénalise depuis 2016.

Enquête à suivre…