Guerre civile espagnole : un défi pour les démocraties européennes des années 30

Alors que le Front populaire arrive à la tête de la Troisième République en mai 1936, la logique voudrait que le gouvernement de Léon Blum se porte au secours du Front populaire espagnol, attaqué par les nationalistes dirigés par le général Franco dès le 13 juillet 1936, il n’en est rien. Un pacifisme outrancier anime les deux puissances démocratiques européennes, la France et le Royaume-Uni.

Dans les années 1930, la démocratie libérale parlementaire ne se maintient qu’en France, en Grande-Bretagne, en Suisse, dans les pays scandinaves, en Belgique, aux Pays-Bas, et en Tchécoslovaquie. Dans le reste de l’Europe, elle cède la place aux régimes totalitaires ou autoritaires. En Italie, le fascisme règne depuis la « Marche sur Rome » de 1922, au Portugal, l’Estado Novo de Salazar est voté en 1933. Durant la même année, le nazisme arrive au pouvoir en Allemagne, par voie de conséquence toute l’Europe centre-orientale, sauf la Tchécoslovaquie, devient autoritaire ou fascisante.

À l’instar du Komintern, il n’y a pas une « internationale » fasciste : nazisme, fascisme, régimes autoritaires, sont des régimes différents. Cependant, il existe entre eux des solidarités. À l’étranger, nombreux sont les admirateurs de ces régimes : le fascisme italien en France et en Europe danubienne, et les nazis ont des soutiens en Grande-Bretagne, surtout en Europe orientale. La Guerre d’Espagne est un exemple de collaboration entre nazis, fascistes et partisans d’un régime autoritaire. Malgré des idéologies différentes, ils s’entendent sur le rejet de la démocratie libérale et du communisme.

La non-intervention

Afin d’empêcher toute généralisation du conflit espagnol, la France et l’Angleterre décident de la mise en place de la politique dite de « non-intervention », dans les premières semaines du conflit. L’objectif est d’empêcher toute aide aux deux belligérants tout en intégrant l’Allemagne, l’Italie et l’URSS. À l’interdiction d’envoyer des troupes sur le sol espagnol s’ajoute celle d’y acheminer du matériel militaire, interdiction que ni l’URSS, ni l’Allemagne et l’Italie ne respectent. Au contraire, ils envoient du matériel militaire et des soldats. Le pacte de non-intervention prive l’Espagne républicaine de son statut d’État de droit en lui interdisant de se procurer du matériel militaire à l’étranger. À l’inverse des putschistes. L’adoption de ce traité le 8 août 1936 montre la posture du Front populaire français. Léon Blum, qui avait pourtant décidé dans les jours qui suivent le début de la guerre civile d’une aide discrète à l’Espagne républicaine, revient sur sa position et participe à la mise en place d’une politique plus proche des intérêts du gouvernement anglais, animé par un anti-communisme. Une décision française influencée par sa dépendance envers la Grande-Bretagne pour sa sécurité, mais aussi à cause du refus de l’opinion et de tout une partie du gouvernement de Front populaire.

« Triomphe de l’impuissance »

En 1938, la question espagnole n’est plus une priorité pour les démocraties européennes trop inquiètes des ambitions territoriales de l’Allemagne et de l’Italie. Les violations répétées des trois puissances totalitaires intégrées au pacte de non-intervention, dénoncées publiquement, n’ont jamais de suites réelles. Ce qui ne manque pas de mettre en exergue le caractère injuste d’une situation, où un gouvernement légal est privé du droit fondamental de se défendre. Et du coup d’encourager le départ de volontaires pour combattre aux côtés des Républicains contre les rebelles nationalistes et des aides officieuses à la République espagnole. La non-intervention reste une grande fracture mémorielle de ce conflit, au point d’avoir souvent été désignée comme une des causes de la défaite républicaine.

Soldat républicain fauché par une balle putschiste. @Robert Capa, photo parue la 23 septembre 1936 dans le magazine Vu.

Les fonds André Marty comportent quelques documents faisant état de la non-intervention et de la « trahison » qu’elle signifiait aux yeux des partisans de la République espagnole. La neutralité supposée par cet engagement international tend à favoriser le régime insurgé du général Franco, en le plaçant de facto à égalité de traitement avec la République espagnole. L’attaché militaire français en Espagne fait savoir, dans un rapport daté de 1938 et reproduit par André Marty que la « non-intervention fait notre force, mais elle doit être réelle ». Ainsi, il appelle la France à renforcer ce système, ce qui permettrait un rapprochement diplomatique avec le régime insurgé. Un point de vue qui ne fait pas l’unanimité en Europe, Emile Vandervelde (1866-1938), dirigeant socialiste belge, critique cette politique qui empêche le front populaire espagnol de bénéficier de soutiens matériels et humains par les voies légales. Pour cette raison le départ de volontaires se réalise officieusement, tout comme l’envoi d’armes. Le libéral anglais Lloyd Georges (1863-1945) tient lui aussi une position hostile au système de non-intervention mis en place par la France et l’Angleterre. Il dénonce particulièrement la fermeture de la frontière française qui rend difficile l’acheminement d’armes. Le gouvernement d’Edouard Daladier finit par reconnaître l’État franquiste le 1er avril 1939, qui a fini par remporter la guerre au prix de 500 000 morts.

Sur le plan européen, la guerre d’Espagne a été une étape importante dans le rapprochement germano-italien et marque le sommet de la polarisation idéologique. Mussolini visait le contrôle de la Méditerranée occidentale à travers son aide à Franco et Hitler jouait à fond la carte de l’anticommunisme et présentait le troisième Reich comme un rempart de l’Europe contre Moscou. Staline, quant à lui, ne soutenait les Républicains que de façon très ambiguë et voulait surtout diviser les pays capitalistes. Alors que la Grande-Bretagne et la France étaient animés par un pacifisme outrancier.