Rencontre : Hubert de Boisredon et la générosité dans l’entreprise « Réconciliez votre cœur et votre intelligence »

Hubert de Boisredon est le président-général de l’entreprise Armor, spécialisé dans la cartouche manufacturée, dont le chiffre d’affaire est estimé à 180 millions. Il est également président de l’association Eotekum. En 2021, il publie le livre « L’esprit souffle, suis-le. Itinéraire d’un dirigeant engagé » chez l’éditeur Mame. Rencontre avec ce businessman qui prône une éthique des affaires.

  • Votre livre retrace votre parcours à la fois personnel et professionnel depuis vos études à HEC. Qu’est-ce qui a motivé ce témoignage ?

J’ai écris ce livre en reprenant différents moments de ma vie qui m’ont marqués, des rencontres humaines, et notamment avec des personnes pauvres. Il y deux exemples que je retrace dans le livre, quand j’étais à New York après mes études en France, où j’étais bouleversé par la misère que je voyais. Et c’est là que j’ai eu l’occasion de rencontrer Mère Thérèsa. Elle m’a dit : chaque matin, quand vous vous levez, regardez vos deux mains en vous demandant ce que vous pouvez faire pour les autres. Il y a eu aussi la rencontre d’un jeune mourant du sida, qui s’appelait James. Il m’a dit de ne pas passer à côté de la vie, de lui donner du sens, comme lui n’en profiterai pas. C’est testament qui m’a touché.

Couverture du livre, paru chez l’éditeur Mame

Ainsi, j’ai cherché un sens à mes études et à mon travail. Je voulais unifier ce que j’avais appris en gestion et cet élan de générosité. C’est pour cela que je suis parti pour le Chili. Avec un ami et celle qui allait devenir mon épouse, nous avons créé une banque de micro-crédit dans les quartiers pauvres de Santiago. A l’époque il n’y avait ni allocation chômage, ni sécurité. Les entrepreneurs nous donnaient un exemple de courage incroyable. A travers eux, j’ai compris que l’entreprise pouvait être mise au service de la générosité, au service de quelque chose qui nous dépasse.

  • Comment fonctionne une banque à micro-crédit ?

Pour lancer notre propre banque à micro-crédit, nous nous sommes inspiré de l’exemple de la Grammeen Bank, créée par Mohammad Yunus, prix Nobel de la Paix au Bengladesh. Il y a des micro-entrepreneurs, avec par exemple des ateliers de menuiserie, qui vendent sur le marché. Ils ont besoin d’un crédit, mais c’est difficile à obtenir quand on n’a ni comptabilité ni garantie. Nous leur proposons de former un groupe à 4 ou à 5, pour être ensemble caution solidaire. Ils s’aident à construire leurs projets.

  • Dans votre activité actuelle, avez-vous déjà vu des exemple de générosité ?

Aujourd’hui, je dirige un groupe industriel qui leader mondial dans la formulation et de l’enduction de couches fines sur films minces . Il y a quatre ans, un de nos concurrents américain a connu un revers de fortune: son usine a explosé. Heureusement il n’y a pas eu de victimes, mais il ne pouvait plus fournir ses clients. Il s’est tourné vers ses concurrents locaux pour avoir de l’aide, mais ils ont refusé pour pouvoir prendre ses clients. C’est alors qu’il s’est tourné vers nous, qui sommes européens. Nous nous sommes dit que s’il nous arrivait la même chose, on aimerait que quelqu’un nous tende la main. C’est ainsi qu’on l’a fourni le temps qu’il reconstruise son usine, avec une très faible marge. D’un point de vue business, ça paraît un peu absurde (rire). Mais l’histoire a montré que cela s’est révélé gagnant sans qu’on l’ai cherché. Deux ans plus tard, il a voulu vendre son activité, et il s’est tourné vers nous. C’est ainsi que nous avons pu prendre pied sur le marché américain. En octobre dernier, nous avons racheté le numéro 1 américain, grâce à cela ce premier pas. J’aime raconter cette histoire, parce que cela montre que la générosité n’est pas de la naïveté, c’est un acte gratuit qui a sa propre logique, un encouragement à agir sans calcul.

  • Et vous n’êtes pas seul à porter cette conviction.

J’ai co-fondé l’association des Dirigeants Responsables de l’Ouest, où nous sommes 130 dirigeants d’entreprises de la France de l’Ouest à avoir décidé de mettre la responsabilité sociale de l’entreprise au sein de leur fonctionnement. C’est très beau de voir qu’il y a 130 personnes qui ont décidé, par exemple, d’accueillir en priorité des personnes qui ont un handicap, ou de réduire leur consommation énergétique. On constate qu’il y a tout un courant d’entreprise qui cherche à combiner l’activité économique avec une progression de l’humanité. Je peux ajouter ajouter que chez Armor, nous sommes 2000 dans le monde, 700 à Nantes dont une cinquantaine porteurs de handicap qui sont complètement intégrées, et comptons également plus de 50 apprentis. L’accueil de la jeunesse comme des personnes fragiles fait partie de notre idéal humain.

Je crois vraiment à la générosité gratuite. Agir de manière altruiste et à protéger la planète a un véritable sens. En étant cohérent avec ses convictions, on donne une force à soi comme aux autres, qui se traduit par le fait que tout le monde marche dans la même direction dans l’entreprise. Et on est quand même plus efficace quand on croit à ce qu’on fait!

  • Quel conseil donneriez-vous aux jeunes entrepreneurs qui se lancent ?

Réconciliez votre cœur et votre intelligence : non seulement vous serez heureux, et je suis sûr que vous réussirez mieux aussi.

Pauline Defélix