Marina Ovsiannikova, victime et symbole de la censure russe

Entre l’Ukraine et la Russie, la guerre ne passe pas que par les armes. La censure de plusieurs réseaux sociaux par le gouvernement de Vladimir Poutine l’a prouvé depuis longtemps. Mais l’affaire Marina Ovsiannikova en est aujourd’hui l’ultime démonstration.  

La scène se produit sur le plateau de Vremia, le principal programme d’information du soir de la plus puissante chaîne télévisée de Russie, Pervy Kanal, un rendez-vous suivi par des millions de Russes depuis l’époque soviétique. Et c’est pendant ce direct que, lundi dernier, une femme fait brusquement irruption avec une pancarte critiquant l’invasion russe de l’Ukraine. On pouvait y lire : « Non à la guerre. Ne croyez pas à la propagande. On vous ment ici » et « Les Russes sont contre la guerre ». 

Marina Ovsiannikova sur le plateau de Vremia

Mais la réaction de la chaîne a été … laconique. La présentatrice, imperturbable, continue de parler quelques secondes pendant que la protestataire scande « Non à la guerre », puis la chaîne précipite la diffusion d’un reportage sur les hôpitaux, mettant fin au direct sur le plateau. Le lendemain, la chaine publie un communiqué dans lequel elle annonce qu’« une enquête interne est en train d’être menée » sur cet « incident ». 

Immédiatement interpellée, elle a été conduite au commissariat le plus proche. C’est ce qu’a immédiatement affirmé l’ONG de défense des droits des manifestants OVD-Info, qui a également révélé l’identité de cette femme, la présentant comme une employée de la chaîne, Marina Ovsiannikova. Et dans une vidéo enregistrée préalablement et toujours publiée par cette ONG, elle s’explique sur son geste : son père étant ukrainien et sa mère russe, elle n’arrive pas à voir les deux pays comme ennemis. Et d’ajouter que « Malheureusement, j’ai travaillé pour Pervy Kanal ces dernières années, faisant de la propagande pour le Kremlin. J’en ai très honte aujourd’hui ». « J’ai honte d’avoir permis que des mensonges soient diffusés à la télévision, honte d’avoir permis que le peuple russe soit ‘zombifié’. »

Si la France avait proposé dès le lendemain une « protection consulaire » à Marina Ovsiannikova, cette dernière a finalement été jugée dans l’après-midi. Reconnaissant sa culpabilité, elle « reste [néanmoins] convaincue que la Russie commet un crime (…) et qu’elle est l’agresseur de l’Ukraine ». Elle a finalement été condamnée pour avoir commis une « infraction administrative » à une amende et libérée. Elle risque toutefois des poursuites pénales passibles de peines beaucoup plus lourdes.

Marina Ovsiannikova, symbole de la censure médiatique en Russie ?

Depuis 2012, la pression sur les médias indépendants s’amplifie. On assiste notamment à une multiplication des lois liberticides contre la liberté de la presse, l’asphyxie ou reprise en main de titres de référence, au blocage de sites d’information, voire coupures d’internet… Les journalistes couvrant les événements qui ne vont pas dans le sens du gouvernement subissent des entraves inédites, et parfois violentes, à leur travail. Et encore récemment avec l’affaire Alexeï Navalny. 

En parallèle, les grandes chaînes de télévision abreuvent les citoyens d’un déluge de propagande et la législation floue et appliquée de manière sélective sert de prétexte pour jeter des journalistes ou des blogueurs en prison. 

Et ce contrôle s’est encore accentué depuis le début de l’invasion ukrainienne. Car Poutine défend une vision bien spécifique de cette guerre et il tient absolument à ce que les médias diffusent sa vision, et uniquement celle-ci. Alors, depuis quelques jours, les autorités russes ont bloqué la plupart des médias encore indépendants, ainsi que les principaux réseaux sociaux, comme Twitter et Facebook.

Une situation plus qu’inquiétante, qui montre bien qu’aujourd’hui la guerre a conquis de nouveaux domaines, et les médias et les réseaux sociaux en font bien partie. 

Morgane Jean