Le projet d’armée européenne est-il relancé avec la guerre en Ukraine ?

La question de l’armée européenne est régulièrement abordée mais se heurte souvent aux mêmes obstacles : des pays voulant assumer indépendamment leur défense, la prépondérance de l’OTAN et des divergences d’intérêts trop fortes entre les États. Aujourd’hui, cette hypothétique armée aurait néanmoins un objectif principal : contrer l’avancée russe en Ukraine.

Au XXIe siècle, jamais la création d’une armée européenne n’a été autant d’actualité. Sans pour autant occuper le centre du débat. Les chefs d’États des pays de l’UE étaient réunis à Versailles la semaine dernière et le sujet était annoncé sur la table. Que nenni. Dans leur déclaration, les 27 s’engagent bel et bien à « continuer de fournir un soutien politique financier, matériel et humanitaire ordonné. » Mais rien concernant la création d’une armée, ni même d’une force armée européenne – comme par exemple la coalition internationale qui s’est rendue en Syrie. L’heure n’est pas à la précipitation et l’armée européenne semble encore loin. Mais entre la guerre en Ukraine et le Brexit, quelques étoiles, certes très noires, s’alignent.

Un Fond européen de défense

Certaines puissances européennes ont récemment renforcé leur budget défense. En France, l’enveloppe allouée aux armées a augmenté de 9 milliards d’euros depuis le début du quinquennat Macron et attendra 44 milliards en 2023. L’Allemagne et La Pologne ont aussi pris des décisions dans ce sens. La Suède s’est également engagée à renforcer son budget de 40% entre 2021 et 2025. Mais les équipements ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Les armées du Vieux Continent possèdent 178 systèmes d’armement différents contre 30 pour l’armée américaine. Pour y remédier, l’UE a annoncé un Fond européen de défense de 7,9 milliards d’euros en 2021. Le but étant de permettre aux industriels de travailler autour du même projet et de produire des équipements communs. Bien que ce programme tarde à se mettre en œuvre – les appels à projet ont été lancés le 30 juin, il semble indiqué que les 27 avancent vers une politique de défense commune.

Exit le Royaume-Uni et Angela Merkel

Produire des armes et des équipements par et pour les Européens fera néanmoins un déçu : les États-Unis. Les pertes sur le marché seraient énormes pour un pays qui exporte 37% des armes mondiales, entre 2016 et 2020. Historiquement, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont souvent mené une politique pro-américaine. Angela Merkel est toujours restée vague concernant la constitution d’une armée. Sa création n’a jamais été inscrite dans le programme du CDU. Mais son successeur, Olaf Scholz, semble plus enclin à enclencher le processus. Il a déjà investi 100 milliards d’euros dans l’armée et souhaite construire des chars et des avions en partenariat avec les membres de l’Union. Quant au Royaume-Uni, dont la politique de défense est presque systématiquement la même que celle des Etats-Unis, le Brexit a expédié la question.

Armée européenne ou transatlantique ?

Reste l’OTAN. Les membres de l’alliance transatlantique ont pour but de coopérer dans les secteurs de la défense et de la sécurité, ainsi que de conduire ensemble des opérations multinationales de gestion de crise. Vingt-quatre États européens en font partie. Farouchement critiquée par certains, cette alliance servirait surtout les intérêts des États-Unis aujourd’hui et empêcherait la France et les pays européens d’être souverain en termes de défense. Surtout, depuis la crise diplomatique provoquée par l’annulation d’une commande par l’Australie de sous-marins français au profit d’un accord avec les États-Unis. Ces deux derniers ont signé le pacte AUKUS, rendu public au même moment, avec le Royaume-Uni, dans le but de contrer l’influence de la Chine dans la zone Indopacifique. Alors même si la création d’une armée européenne n’impliquerait pas forcément une sortie de l’OTAN pour les pays de l’UE, la divergence d’intérêt entre européens et américains est aujourd’hui bien réelle.

Une Europe fracturée

Mais avant de créer une quelconque armée, les Européens doivent se mettre d’accord sur leurs objectifs. Ils divergent tout autant au sein de l’UE qu’entre Européens et Américains. L’Europe s’est déjà fracturée autour de questions de politiques extérieures. Quand l’Allemagne et la Belgique s’alignaient avec Jacque Chirac et son souhait de ne pas aller en Irak en 2003, le Royaume-Uni et les pays de l’est y fonçaient tête baissée. La coalition contre l’État islamique n’a mobilisé qu’un tiers des pays de l’UE. Au Mali, seuls quelques avions de transport allemands sont venus épauler la France. Les intérêts du Portugal et de la Grèce, pays du sud fortement endettés, sont à des années lumières de ceux des pays scandinaves. Déjà que l’Europe a du mal à s’accorder sur des politiques communes… Alors s’engager dans une guerre tous ensemble ? Cela paraît impossible dans l’immédiat. Et la création d’une armée sous-entend qu’il lui faut un chef. Qui choisir ? Le chef de l’Etat du pays élu à la présidence de l’Union européenne ? Il tourne tous les 6 mois. Les objectifs de l’armée changeraient avec lui.

Un objectif commun

Mais la récente guerre en Ukraine a peut-être modifié la donne. Ce conflit est l’un des rares points ou tous les Européens semblent d’accord. Tous ont condamné l’offensive russe et l’UE a pris très rapidement une série de sanctions commune envers la Russie et la Biélorussie. Se défendre face aux volontés expansionnistes de Vladimir Poutine peut être l’objectif principal de la création d’une armée européenne tant les Européens ont des intérêts communs. La vague de migration ukrainienne qui déferle actuellement les concerne tous – même si, historiquement, les pays de l’Europe ont montré peu de solidarité quant à l’accueil de réfugiés. Si rien n’est fait pour l’instant, cette guerre a le mérite de relancer concrètement le débat. Mais de là à aboutir à une armée européenne dans les prochaines années… L’UE a encore bien des obstacles à surmonter.

Mathieu Alfonsi