Coopération franco-allemande :  de la réconciliation à l’ambition européenne

La France et l’Allemagne ont longtemps été ennemies : guerre franco-prussienne de 1870, Première guerre mondiale en 1914, Seconde guerre mondiale en 1939… Ainsi, en 1963, après près d’un siècle de guerre, l’Etat français de Charles de Gaulle et la République fédérale allemande de Konrad Adenauer signent le Traité de l’Elysée. 56 ans plus tard, afin de perpétuer cette relation, le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel ratifient en 2019 le Traité d’Aix-la-Chapelle, qui étend les pouvoirs de cette relation.

François Mitterrand (à gauche) et Helmut Kohl, le 22 septembre 1984, à Douaumont (Meuse), près de Verdun.   AFP PHOTO / MARCEL MOCHET

Il s’agit du troisième point du traité de l’Elysée de 1963. Surement la coopération la plus visible entre la France et l’Allemagne. Signe de réconciliation après la Seconde Guerre mondiale, les deux pays ont décidé de bâtir une véritable union dans la culture et la formation. Enseignement de la langue, organisme de coopération, jumelages….

D’après le traité de l’Elysée, on pouvait lire : « Un organisme destiné à développer [la compréhension mutuelle] et à promouvoir les échanges sera créé par les deux pays avec, à sa tête, un conseil d’administration autonome. Cet organisme disposera d’un fonds commun franco-allemand qui servira aux échanges entre les deux pays d’écoliers, d’étudiants, de jeunes artisans et de jeunes travailleurs. »

Ainsi est né l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) qui, chaque année, apporte son soutien à des échanges et des projets de jeunes Français et Allemands sous diverses formes : échanges scolaires et universitaires, cours de langue, rencontres sportives et culturelles… Créé en 1963, l’organisme a permis à 10 millions de jeunes de se former ou de partir dans le pays voisin. De plus, les deux Etats se sont engagés à accroitre le nombre d’élèves apprenant la langue de l’autre, créant ainsi les cursus de langue allemande ou les classes bilangue en France par exemple.

Côté culture, l’une des plus grandes réussites se nomme Arte. La chaine binationale, créée en 1992, avait pour but de faire connaître la culture du pays voisin. Sans pour autant être la plus grande chaine de télévision, elle ne cesse d’attirer de plus en plus de spectateurs, aussi bien en France, qu’en Allemagne.

A sa création, la chaine (du côté allemand) avait des audiences de 0,3%. En 2018, les audiences ont culminé à 1,3%. Du côté français, on est passé de de 1% à 2,6%. Sa mise en place a ainsi permis le développement de films allemands et français, qui représentent près de 60% des films diffusés sur la chaine. Dans son financement, elle fonctionne à part égale (50-50) entre le gouvernement français et la République fédérale allemande. La direction s’alterne entre Français et Allemands.

Derrière le miracle culturel se cache l’échec éducatif

Economiquement parlant, l’Allemagne et la France sont fortement liées. Au total, ce sont 16% du commerce français qui se fait avec l’Allemagne. De plus, il n’y a pas que le commerce, les entreprises elles-mêmes travaillent entre elles. C’est le cas dans l’automobile, le trafic ferroviaire et l’aviation (Airbus).

C’est dans ce but qu’en 2005, 300 chefs d’entreprise créent le Club économique Franco-allemand, afin de « resserrer les liens entre les deux pays ». Ils se retrouvent une quinzaine de fois par an pour travailler autour de différentes thématiques économiques. En 2014, le journal français Les Echos et le journal allemand Handelsblatt ont créé le Forum économique franco-allemand.

Le traité de l’Elysée de 1963 partait d’une bonne intention d’unification entre la France et l’Allemagne. Malheureusement, ce bout de papier n’est parfois resté qu’un bout de papier. En 1992, le ministre de l’Education nationale Jack Lang crée les sections européennes dans les collèges et lycées français. Au total, ce sont 11 langues qui seront proposées, dont l’allemand. En 2005, Gilles de Robien, ministre de l’Education nationale sous Jacques Chirac et Dominique de Villepin, lance les classes bilangues. Avec cette nouvelle réforme, près de 16% des élèves français en 2018 apprennent une deuxième langue dès leur entrée en sixième. Mais pour quels résultats ?

Les différentes réformes engagées par les gouvernements successifs n’ont pas réussi à augmenter la part d’élèves apprenant la langue allemande. Au contraire, les chiffres ne cessent de baisser, passant de 1 300 000 élèves en 1995 à 870 000 en 2016.

A la rentrée 2016, la ministre Najat Vallaud-Belkacem du gouvernement de François Hollande et Manuel Valls commence elle aussi sa réforme de l’Education. C’est le brevet des collèges qui sera modifié : suppression des classes bilangues, suppression des sections européennes, LV2 commencée en cinquième et non plus en quatrième (mais avec 2h30 de cours au lieu de 3h par semaine).

Du côté allemand, l’apprentissage du français reste stable, ou diminue légèrement depuis la signature du traité.

 Les deux gouvernements reconnaissent l’importance essentielle que revêt pour la coopération franco-allemande la connaissance dans chacun des deux pays de la langue de l’autre. Ils s’efforceront, à cette fin, de prendre des mesures concrètes en vue d’accroître le nombre des élèves allemands apprenant la langue française et celui des élèves français apprenant la langue allemande. (Article 1, chapitre Education du Traité de l’Elysée)

Bâtir la paix en Europe

Plus qu’un simple accord d’amitié, le traité de l’Elysée est avant tout un traité de paix et d’alliance militaire. Le traité stipule que les deux pays se « consulteront » pour toutes questions sur les relations Est-Ouest, les décisions de l’OTAN ou de l’Onu.

De plus, les armées de chacun des pays pourront travailler les unes avec les autres afin de créer une dissuasion militaire massive. Des échanges de troupes pourront avoir lieu entre la France et l’Allemagne et l’armement militaire viendra d’une consultation commune des deux pays.

Le général De Gaulle souhaitait avant tout créer un duo fort afin d’attirer vers la France les pays européens, jusqu’à présent tournés vers les Etats-Unis à la suite du plan Marshall et à leur interventionnisme militaire, économique et cultuel dans toute la région. Une coopération qui n’est donc pas sans arrière-pensées.

En 1989, lors d’un sommet entre le chancelier allemand Kohl et le président français Mitterrand, la Brigade franco-allemande est créée. Elle regroupe sous un même régiment des forces de l’armée française et de la Bundeswehr allemande. Au total, se sont presque 6000 soldats.

Il s’agit de la première unité militaire interarmées. Ainsi, elle est intervenue à plusieurs reprises dans des conflits mondiaux, tels qu’en Afghanistan en 2002 ou au Mali en 2015. Mais elle n’agit pas seule. Elle prend également part à l’OTAN ou l’ONU.

En janvier 2018, le président français Emmanuel Macron annonçait vouloir créer une armée européenne. Même si cela n’est pas entièrement le cas, la Brigade franco-allemande en est la petite sœur.

Il subsiste néanmoins des divergences au sein même de l’unité. D’abord, sur le plan de la formation. En effet, la France est connue pour être exigeante physiquement et moralement, alors que la Bundeswehr allemande est plus clémente, et se concentre plus sur les capacités des soldats. Sur le terrain, c’est pareil. Lors du conflit malien, la Brigade s’est divisée. La partie française a répondu à l’appel de l’opération française Barkhane, alors que la partie allemande est allée soutenir l’ONU. Une unité, un pays, mais deux patrons.

 Les échanges de personnel entre les armées seront multipliés ; ils concerneront en particulier les professeurs et les élèves des écoles d’Etat-major ; ils pourront comporter des détachements temporaires d’unités entières. Afin de faciliter ces échanges, un effort sera fait de part et d’autre pour l’enseignement pratique des langues chez les stagiaires. (Article 2, chapitre Défense du Traité de l’Elysée)

Aix-la-Chapelle : la réaffirmation des liens franco-allemands

« Le traité de 1963 a été un traité de réconciliation. Aujourd’hui, il s’agit d’un traité de convergence » affirme le président Emmanuel Macron juste avant la signature de ce traité.

Voilà près de deux ans que le président français souhaitait signer un nouvel accord avec l’Allemagne, afin de réaffirmer les liens qui les unissent. Le traité d’Aix-la-Chapelle, ou son nom complet «Traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes », concerne avant tout la défense, l’économie et la culture du 21ème siècle des deux pays. En somme, c’est donc un renouvellement dans le présent du traité du passé.

Dans ce traité, il est proposé une collaboration plus grande entre la France et l’Allemagne dans le conseil de sécurité de l’ONU. Ainsi, la France demande à l’Organisation de donner une place permanente à l’Allemagne.

Guillemet ouvert Les deux États s’engagent à poursuivre leurs efforts pour mener à terme des négociations intergouvernementales concernant la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’admission de la République fédérale d’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande. (Article 8 du Traité d’Aix-la-Chapelle)

La sécurité passe aussi par les relations transfrontalières. Si quelques politiciens en France comme en Allemagne ont considéré ce traité d’Aix-la-Chapelle comme un acte de « vente de l’Alsace-Lorraine », où toute l’administration serait « officiellement en allemand », ce traité est surtout un acte de collaboration entre les deux côtés du Rhin.

Un fond commun pour l’investissement de projets pour la population civile, la création ou la rénovation des lignes à chemin de fer entre Strasbourg et Francfort et entre Colmar et Fribourg, ou la création d’un comité de coopération sont les trois plus grandes idées dans ce domaine.

 Les deux États faciliteront la mobilité transfrontalière en améliorant l’interconnexion des réseaux numériques et physiques entre eux, notamment les liaisons ferroviaires et routières. Ils agiront en étroite collaboration dans le domaine de la mobilité innovante, durable et accessible à tous afin d’élaborer des   approches ou des normes communes aux deux États. (Article 16 du Traité d’Aix-la-Chapelle)

Ce n’est pas un secret, les relations entre la France et l’Allemagne sont avant tout basées sur les échanges culturels.

En plus de la chaîne de télévision Arte, une plateforme numérique sera mise en place pour permettre l’accès de tous à des contenus d’information. Dans ce même domaine de la formation, 4 instituts seront créés dans le monde afin de promouvoir la culture franco-allemande.

Le monde bouge, et aujourd’hui, l’environnement et le climat sont devenus des préoccupations importantes. Des échanges de scientifiques, la création d’un réseau et la collaboration au niveau spatiale ont été demandés.

 Les deux États feront progresser la transition énergétique dans tous les secteurs appropriés et, à cet effet, développent leur coopération et renforcent le cadre institutionnel de financement, d’élaboration et de mise en œuvre de projets conjoints, en particulier dans les domaines des infrastructures, des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. (Article 19 du Traité d’Aix-la-Chapelle)

 L’arrière-pensée européenne d’Emmanuel Macron

Mais bien plus qu’une collaboration franco-allemande, il s’agit surtout d’un projet européen, d’une étincelle pour un renouveau de l’Union européenne avant les élections européennes. Dans l’article 7 du traité d’Aix-la-Chapelle, les deux États s’engagent à établir un partenariat de plus en plus étroit entre l’Europe et l’Afrique en renforçant leur coopération en matière de développement du secteur privé, d’intégration régionale, d’enseignement et de formation professionnelle, d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes, dans le but d’améliorer les perspectives socioéconomiques, la viabilité, la bonne gouvernance ainsi que la prévention des conflits, la résolution des crises, notamment dans le cadre du maintien de la paix, et la gestion des situations d’après-conflit.

Et de rajouter à l’article 4 : « Les deux Etats continuent de développer l’efficacité, la cohérence et la crédibilité de l’Europe dans le domaine militaire. Ce faisant, ils s’engagent à renforcer la capacité d’action de l’Europe et à investir conjointement pour combler ses lacunes capacitaires, renforçant ainsi l’Union européenne et l’Alliance nord-atlantique. »

En 2017, le président français avait annoncé un plan pour l‘Europe, qui ressemble énormément au contenu de ce traité : généralisation du programme Erasmus, convergence des travaux, armée européenne… Le traité de d’Aix-la-Chapelle est donc une avancée dans la nouvelle Europe voulue par Emmanuel Macron.

Benjamin Grischko