Karima Delli : « La force des écologistes, c’est leur cohérence »

Alors que l’échéance électorale approche, la question environnementale ne semble pas être perçue comme l’enjeu principal par la plupart des candidats. Conseillère politique de la campagne de Yannick Jadot, Karima Delli nous fait part de son opinion.

Karima Delli est une députée européenne EELV, présidente de la commission transport et tourisme (TRAN) du Parlement Européen. Elle a également été la tête de liste de l’union de la gauche, « Pour le climat, pour l’emploi », pour l’élection régionale dans les Hauts-de-France et préside son groupe au Conseil régional depuis.

Affiche de campagne de la liste d’union de la gauche et des écologistes pour les régionales dans les Hauts-de-France menée par Karima Delli.

En tant qu’eurodéputée écologiste, estimez-vous que la question du climat est maltraitée pendant cette campagne par-rapport aux campagnes d’autres pays européens ?

« Je pense que la question de l’urgence climatique aujourd’hui est complètement oubliée de la campagne présidentielle. Ce qui est très impressionnant, c’est que tout le monde n’en parle pas – aussi bien les autres candidats que les médias, ce qui pose un problème de fond. Ça a été un des premiers thèmes de la campagne des Allemands ! On voit bien que l’urgence climatique est très peu présente dans les débats, très peu présente dans les programmes – on met juste deux, trois mots : « développement durable », « écologie » mais on a pas de réflexion globale de ce qu’est une campagne écologiste avec en focus la question de l’urgence climatique.

Les citoyens organisent eux-même des débats sur des canaux totalement nouveaux, comme le Débat du Siècle sur Twitch, juste pour replacer l’urgence climatique au cœur de la campagne ! Je pense que personne n’a compris pendant ces cinq ans que la France n’est pas à la hauteur : nous sommes le seul pays en Europe qui est en retard sur le thème des énergies renouvelables, nous sommes les derniers sur la préservation de la biodiversité – on n’a toujours pas appliqué les directives de l’Union Européenne, c’est quand même fou ! La cerise sur le gâteau c’est que la France a été condamnée pour inaction climatique [par le Tribunal Administratif de Paris en octobre 2021 dans le cadre de l’Affaire du Siècle] ! Il n’y a pas d’ambition : il y a que Yannick Jadot qui remet l’écologie au centre de la campagne présidentielle. On peut regretter que les médias traditionnels ne se saisissent pas du sujet alors qu’il percute l’actualité géopolitique. Ensuite, il y a des « débats » qui ne sont pas des débats présidentiels… C’est un peu compliqué. »

Les jeunes écologistes de Lille durant la manifestation Look Up du 12 mars.

Justement, concernant la question énergétique : durant le débat « La France face à la guerre » sur TF1 (le 14 mars), Yannick Jadot a fait un lien entre la guerre en Ukraine et sa défense de l’énergie verte. Cette dernière serait un vecteur de paix par-rapport aux importations de gaz. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

« Yannick Jadot fait de la pédagogie. Qui était au courant que la France importait du gaz russe ? C’est un réveil des consciences : lorsque vous allumez votre lumière il y a quelque chose derrière. Le message de Yannick Jadot est très fort : comment mobilise-t-on la société sur le « quoi qu’il en coûte climatique » ? Comment avoir une vraie réflexion énergétique ? Souvent on pense que c’est une question pour les ingénieurs, que c’est très complexe mais c’est une question qui est dans le porte-monnaie des gens. Yannick Jadot est le seul courageux à donner une vraie « feuille de route » énergétique. Quand il dit que les énergies renouvelables sont des énergies de paix, vous n’avez pas la peur au ventre qu’un missile tombe sur une centrale nucléaire.

Nous sommes des pro-européens : quand il dit que les exportations de gaz et de pétrole rapportent 700 millions de dollars à Vladimir Poutine, on a là un vrai problème. L’Europe est sous perfusion de ces énergies là. Il faut qu’on redevienne une puissance globale, nous, l’Europe, avec un mix énergétique qui soit responsable politiquement. Il est grand temps de faire un virage énergétique : concernant le gaz, si demain on décide de « fermer le robinet », comment on fait ?

On a de la chance d’avoir un candidat écolo avec des perspectives parce qu’on a des alternatives. Encore faudrait-il investir et faire des choix. En Picardie, on avait le premier centre européen de formation des métiers de l’éolien : 90 % des jeunes en sortaient avec un CDI. On l’a fermé. De plus, l’éolien est moins cher que le nucléaire : le prix du nucléaire va augmenter dans les années à venir ; on ne fabrique pas de l’uranium en France, ni en Europe. L’autre avantage : c’est bon pour l’emploi. On n’envoie pas les éoliennes à l’autre bout de la Terre ! Et il n’y a pas de risques de sécurité : j’ai été voir Fukushima et je n’ai pas envie de voir des villes fantômes autour de Gravelines. Quand on dit de réduire le parc nucléaire on est pragmatique : on parle de vingt ans, vingt-cinq ans. On est pas prêts sur la technologie nucléaire : pour les « small reactors », on nous dit 2040 mais on fait quoi d’ici là ? L’objectif européen est de réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 ! »

Yannick Jadot a commencé sa vie militante au sein d’ONG et l’ADN de votre parti a toujours été lié à celui du mouvement associatif altermondialiste. Avez-vous perçu la création du Parlement de l’Union populaire par vos concurrents de la France insoumise, regroupant des figures de ce même milieu dont Claire Lejeune (figure des manifs pour le climat) comme une manière de « couper l’herbe sous le pied » de votre parti ?

« Le Parlement de l’Union Populaire est plutôt une bonne chose mais nous avons déjà deux portes d’entrées : le mouvement des Verts et le monde associatif. Moi je suis un peu un « bébé EELV » : j’avais un pied dans le monde associatif et en même temps j’étais dans un mouvement politique. On n’a pas attendu l’Union Populaire – ou le Parlement de l’Union Populaire, pour le faire concrètement. Quand on regarde le profil des élus écologistes, on vient beaucoup du monde associatif et parfois même du monde de l’entreprise : Éric Piolle [maire de Grenoble, candidat à la primaire de l’écologie en 2021] a travaillé chez IBM. Le Parlement de l’Union Populaire n’est pas nouveau pour nous, nous le faisons depuis toujours. C’est d’ailleurs la chance de Yannick Jadot : quand on est dans le monde réel, le monde associatif, il est parfois dur de mener ces combats ; mais quand vous êtes dans l’échelon politique, vous faites dans l’intérêt général. Pour répondre à votre question : ce ne sont pas nos concurrents, nos adversaires ce sont la droite et l’extrême droite. Ceux qui sont dans l’Union Populaire, tant mieux pour eux mais attention, parce que la déception peut être forte. L’Union Populaire on l’a faite il y a des années, tant mieux si ça se fait à nouveau, moi je n’ai pas de souci avec ça. »

Avant la manifestation, les Jeunes Écolos de Lille rassemblent leurs drapeaux et leurs tracts devant le local régional du parti.

On a vu que la question écologique n’est pas au premier plan par-rapport aux élections européennes où vous avez eu un bon score, en tête de la gauche : s’il fallait recommencer la campagne depuis le début et changer votre approche, le feriez-vous ?

« La force des écologistes c’est notre cohérence : nous ne changeons pas de ligne tous les cinq matins pour plaire à un tel ou un tel. La politique manque de ça. Il faut avoir une cohérence pour avancer en politique : sinon on n’avance pas, à part si on a besoin de ça pour exister – auquel cas on change sans arrêt d’idées, de partis politiques. Nous ce n’est pas notre cas. Yannick Jadot est un des rares qui n’a jamais quitté la ligne de l’écologie. Ce samedi [12 mars], des associations ont lancé des manifestations partout en France pour demander pourquoi la question climatique n’est pas au cœur du sujet alors qu’elle vient impacter tous les domaines ? On le voit avec le conflit en Ukraine, on le voit avec le pouvoir d’achat… Nous nous rappelons que, loin d’effacer la question du Covid, de la guerre en Ukraine, tout cela nous montre la vulnérabilité de la planète. Nous ne changeons pas d’axe : aujourd’hui, la plus grande menace que l’humanité n’ait connu ne peut pas être passé sous silence en période électorale. Nous ne laisserons pas nos générations futures otages de ceux qui nous mènent vers la catastrophe. Ils ne font rien alors que nous, on le voit à l’échelon européen, je pourrais vous lister tous les combats qu’on gagne : moi, je gagne la relance des trains de nuit, tout le monde se foutait de moi au début ! Lorsqu’on met un système de protection du RGPD [Règlement Général de la Protection des Données] sur nos données : ce sont les écolos ! Quand on est aux manettes on a pas le temps de bla-bla. Nous on a du résultat. »

Il existe un paradoxe dans ce pays : une grande partie de la population est sensibilisée à la cause climatique mais ça ne ressort pas dans les urnes – même s’il existe des percées écologistes (Européennes, Municipale de 2020). Qu’en pensez-vous ?

« Les sondages ne font pas l’élection : aux Régionales de 2021, personne n’avait prévu les 70 % d’abstention. Pourtant, avec cette union de la gauche [la liste « Pour le climat, pour l’emploi »] on est revenu dans ce conseil régional alors que tout le monde nous voyait perdants car divisés. Idem, à la veille des Européennes de 2019, je parlais avec Yannick Jadot : on recevait le tout dernier sondage qui nous plaçait à 6 %, LR à 14 %. On a fini à 13,6 % et LR a fondu comme neige au soleil à 8 %. Ce que je peux vous dire, c’est que les Français ne veulent pas de second tour Macron-Le Pen. Ça c’est clair et net. Ils ont envie d’une alternative. Quand on regarde les préoccupations des Français, on voit le pouvoir d’achat, le chômage et à chaque fois, à la troisième ou quatrième place, il y a l’écologie. La question n’est donc pas celle des sondages mais celle de la dynamique de campagne : Yannick Jadot n’a jamais été dans les scores qu’on aurait pu croire des écologistes habituellement. Nous ne sommes plus condamnés à être un petit parti en France à 1 ou 2 %. On passe à un nouvel échelon et j’espère qu’on ira le plus loin possible. »

Propos recueillis par Antoine Guihery et Ferdinand Chenot