Dans la deuxième partie du XXème siècle, le monde baignait dans un conflit géopolitique entre les Etats-Unis et l’URSS. Pendant la Guerre Froide, la conquête spatiale était l’un des enjeux majeurs pour les deux blocs. Néanmoins, l’Europe ne s’est pas cachée et a également visé l’espace.

1947 à 1991. Pendant cette longue période, les Etats-Unis et l’URSS se sont battus sur de nombreux terrains possibles. L’idéologie, la culture, l’économie, la science, la Guerre Froide offrait une diversité folle de confrontation entre les deux. L’un des plus importants ? C’est la conquête de l’espace. Dans une guerre où chaque bloc essayait d’imposer son idéologie, l’idée de briser les limites imposées par la Terre et atteindre les étoiles fait fantasmer le monde. Voyager dans l’espace, marcher sur la Lune, la conquête spatiale est déterminante et occupe une place importante dans l’opposition entre USA et URSS. Dans un premier temps, sur le plan scientifique. Chaque événement, chaque avancée propulsait l’un des deux belligérants plus haut dans l’avancée technologique et s’affirmait comme une puissance supérieure. Et dans un second temps, la conquête spatiale a eu un impact culturel et médiatique colossal. Tout le monde connaît aujourd’hui la date du 21 juillet 1969 où l’homme a marché sur la Lune pour la première fois, accompagné de la célèbre phrase : « C’est un petit pas pour l’homme, mais un bond de géant pour l’humanité » prononcé par Neil Armstrong après avoir posé le pied sur l’astre lunaire. Cet événement iconique symbolise dans l’inconscient collectif la victoire des Etats-Unis face à l’URSS dans la course aux étoiles, voire même de la Guerre Froide.
Et les pays européens ?
Entre les Etats-Unis et la Russie, pas question de rester les bras croisés. En Europe, les enjeux de la conquête spatiale sont rapidement compris. Les différents pays sont envieux de cette évolution technologique et de cette reconnaissance idéologique. L’Allemagne est d’autant plus frustrée que les premières fusées sont construites à partir des missiles V2, des missiles conçus sous l’Allemagne Nazie à l’origine prévue pour attaquer des populations. Cependant, l’Europe a d’autres préoccupations à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Si l’URSS et les Etats-Unis n’ont pas grand-chose à faire, le Vieux Continent est littéralement le premier champ de bataille. Tous les états doivent garder les pieds sur Terre et reconstruire leurs pays avant d’espérer atteindre les étoiles.
Autrement dit, l’Europe prend du retard, mais n’abandonne en aucun cas l’idée d’une politique spatiale. Au départ, ce n’est pas l’Europe, mais les états individuellement qui se développent dans cette nouvelle discipline. Et le premier, c’est la France. Le général De Gaulle ne perd pas de temps sur la question. Le 7 janvier 1959, il fonde le Comité des recherches spatiales, créant par la même occasion la première politique spatiale française. Ce comité a pour but de comprendre et d’expliquer au gouvernement français ce dont il est capable pour élaborer un programme spatial. Le CRS établit des rapports qui aboutiront à la création d’une véritable institution le 19 décembre 1961 : le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES). L’ambition de la France vis-à-vis de l’espace est élevée. De Gaulle veut rapidement qu’elle soit considérée comme une puissance spatiale, au même titre que l’URSS et les Etats-Unis. Pour cela, il faut un fait d’armes. Il arrivera quatre ans plus tard, le 26 novembre 1965. Depuis le Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux d’Hammaguir en Algérie, la fusée Diamant A décolle et place en orbite Astérix, le premier satellite français, 200 kilomètres au-dessus de la terre.

De la France à l’Europe
La France mène la danse en Europe. Tous les pays décident alors de se consacrer à des programmes spatiaux, et le Royaume-Uni suivra le pas, le 28 octobre 1971 avec le satellite Prospero. Les états se développent chacun de leur côté, mais qu’en est-il de l’Europe ? Ces avancées individuelles sont lentes à côté des mastodontes que représentent les Etats-Unis et l’URSS. Pour maintenir le cap, il faut collaborer et qu’une puissance européenne s’affirme. C’est dans cette optique que naissent le Centre Européen pour la Construction de Lanceurs d’Engins Spatiaux en 1963 et le Conseil Européen de Recherches Spatiales en 1964.
Le CERS est une agence spatiale de dix pays européens, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Italie, la Belgique, la Suède, la Suisse, l’Espagne et le Danemark. Chacun d’entre eux contribue à l’avancée du spatial européen en partageant les ressources économiques, scientifiques et technologiques pour développer des satellites. Le CERS a d’ailleurs son rôle à jouer dans la Guerre Froide. Aucun des pays membres n’est ennemi des Etats-Unis, ce sont majoritairement des alliés des Etats-Unis ou des membres de l’OTAN. C’est pour cela que les satellites conçus, qui sont au nombre de 8, ont tous été lancés par la NASA.
L’heure de l’Europe spatiale se fera tout de même attendre. Le petit succès du CERS n’empêche pas l’agence d’être dans l’incapacité de répondre aux attentes qu’il s’était fixées à cause d’un manque financier trop conséquent. Et parallèlement à cela, le Centre Européen pour la Construction de Lanceurs d’Engins Spatiaux est un fiasco. Si son nom équivoque exprime son rôle de créer un lanceur, le CECLES ne parvient pas à l’assumer. La fusée Europa est le projet sur lequel le centre se focalise de 1963 à 1972, mais ce n’est finalement qu’un vaste échec. Les trois versions connaissent des problèmes lors des lancements. L’échec d’Europa II sera le plus célèbre et le plus spectaculaire malgré lui. Au moment du lancement, le moteur du premier étage s’arrête, avant que ce même premier étage n’explose et que la fusée termine dans l’Océan Atlantique.
L’ESA, le renouveau du programme spatial européen
Ces échecs européens permettent néanmoins d’ouvrir les yeux sur la situation. Un seul organisme doit rassembler la puissance spatiale européenne. L’ESA, l’Agence Spatiale Européenne, est fondé en 1975. Elle naît de la fusion du CECLES et du CERS. Ainsi, le projet se centralise au sein d’une seule unité. Une unité dans laquelle la France occupe une place primordiale. Puisque si l’ESA siège à Paris, elle s’appuie en plus sur le CNES pour développer ses nouvelles fusées. De ce fait, les lancements se font sur les territoires français, et plus précisément en Guyane, au Centre Spatial Guyanais de Kourou. Les travaux des deux anciennes institutions européennes sont retravaillés pour déboucher sur la fusée Ariane.
Ariane est dans la continuité d’Europa. Dans l’idée tout du moins. L’Europe compte s’imposer rapidement sur la conquête spatiale pour ne pas avoir un retard irrattrapable. Le projet Ariane connaîtra lui aussi ses difficultés, mais tout se jouera au mois de décembre 1979. Le 15, c’est l’heure du premier essai. Les moteurs s’allument, mais la fusée ne décolle pas, endommageant le premier étage. Le 23, de nouveaux problèmes techniques dont la teneur n’a pas été communiquée sont survenus, allant de pair avec les pluies diluviennes qui tombaient sur Kourou et empêchaient un décollage optimal. Le jour de Noël, le 24 décembre 1979 est donc la dernière tentative pour Ariane 1 de briller avec les étoiles. Cette fois, c’est la bonne. La fusée décolle parfaitement et l’Europe réalise un pas de géant dans la conquête spatiale.

Ce succès marque la réussite collective et la collaboration entre tous les états membres de l’ESA. L’Europe s’inspire alors de la fusée d’Ariane 1 pour mener à un bien un programme spatial européen tout en se développant nationalement. Dans un contexte géopolitique où il fallait choisir son camp, la conquête spatiale a permis à l’Europe de sortir la tête de l’eau, de ne pas être un simple allié des Etats-Unis. Non seulement cette réussite est importante pour ne pas trop souffrir et dépendre la domination américaine que nous connaissons depuis cette époque, mais l’Europe est en plus devenue une puissance spatiale majeure, encore aujourd’hui. Par exemple, le budget de l’ESA en 2022 est de 7,15 milliards d’euros. C’est la troisième puissance spatiale derrière la Chine et les Etats-Unis. Et si la conquête spatiale avait un rôle primordial au coeur de la Guerre Froide, elle est encore d’actualité. Les objectifs aujourd’hui sont différents, les ambitions sont beaucoup plus élevées, on parle de coloniser Mars. Cela signifie donc que l’espace est encore est toujours un enjeu géopolitique majeur et que pour être une grande puissance internationale, il faut être une puissance spatiale. La Chine en est le meilleur exemple. La puissance de l’Europe d’aujourd’hui réside donc en partie dans son programme spatial qu’elle a su développer à temps dans les années 1960. En 2007, l’Union Européenne crée une vraie politique spatiale européenne via le Traité de Lisbonne. L’an dernier, elle a établi « le programme spatial de l’Union et l’Agence de l’Union européenne pour le programme spatial » qui redéfinit les objectifs de l’Europe dans l’espace de 2021 à 2027. En ayant emboîté le pas des Etats-Unis et de l’URSS, l’Europe, sous l’impulsion de la France, s’est renforcée pour devenir et rester une vraie puissance spatiale, et donc économique, culturelle, technologique et scientifique.
Louis Havet
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