Maladies et destins brisés : la réalité de la dépression dans le football

Si la dépression est un sujet que l’on évoque peu dans le football, elle touche de nombreux athlètes depuis des années. Dans un monde où le physique est primordial, on a tendance à oublier que c’est la tête qui fait avancer le corps.

Bojan, footballeur professionnel victime de problèmes d’anxiété quotidiennement.

Tout gamin fan de football a un jour rêvé d’en faire son métier. Passer sa vie à taper dans le ballon rond tout en gagnant bien sa vie, pas surprenant que ça donne envie. Mais derrière cette vie idéale et luxueuse, le quotidien du footballeur n’est pas de tout repos. Il faut déjà être capable de gérer sa condition physique. Le corps d’un footballeur, c’est son gagne-pain. Surveiller son alimentation, s’entraîner au jour le jour, c’est un rythme de vie qu’il faut réussir à s’imposer. Et à côté de cela, l’extra-sportif pèse aussi sur les joueurs. La famille, l’image, les marques, les fans, les médias, tous ces facteurs font pression sur ces sportifs de haut niveau et peuvent influer sur leur santé mentale. Si l’on pense avant tout au corps des joueurs, la dépression peut détruire des carrières. Premièrement, car la pression mentale agit directement sur le style de jeu d’un joueur, augmentant la fragilité de risque de blessure. Et deuxièmement (et surtout), même si ce sont des stars, ils restent des hommes et des femmes. Sans être stable et heureux mentalement, non seulement ils ne pourront pas jouer à leur meilleur niveau, mais c’est même leur vie qui est menacée.

Comment expliquer la dépression chez les footballeurs?

Psychologue du sport et de la performance à Genève et à l’Université de Berne, le Dr Olivier Schmid s’est attardé sur la psychologie des footballeurs et la pression qu’ils doivent subir pour réussir professionnellement. « Les sportifs d’élite doivent faire preuve de force mentale pour exceller, mais cela ne s’accompagne pas automatiquement d’une bonne santé psychologique. Certaines études indiquent même que les athlètes sont plus à même de développer des troubles tels que la dépression, l’anxiété, les troubles alimentaires ou l’abus de substances. Ce perfectionnisme peut éloigner de l’excellence. Le reproche vers soi et l’insatisfaction permanente de ne pas atteindre ses objectifs peuvent avoir des conséquences néfastes sur la performance. Le mal-être des sportifs vient souvent du fait qu’ils évaluent leur valeur et leur estime d’eux-mêmes en fonction de la qualité de leur performance. » indique-t-il.

« Personne ne veut parler de ça »

Dans le monde du football, la dépression n’a pas été abordée de la meilleure des manières. Pendant longtemps, les jeunes n’étaient pas formés à subir cette pression psychologique. Et une fois devenus pro, les médecins ne s’occupent pas du mental des joueurs comme ils s’occupent de leur corps. Formé au Barca, Bojan était promis un grand destin de footballeur. Si l’Espagnol avait un talent hors du commun, ses problèmes d’anxiété n’ont jamais été pris au sérieux et il n’a pas pu avoir la carrière dont il rêvait : « Je devais vivre avec. Quand je suis arrivé, c’était « c’est le nouveau Messi ». Mais à quelle carrière ils s’attendaient ? Il y a plein de choses que les gens ne savent pas. Comme quand je ne suis pas allé au championnat d’Europe en 2008 à cause de problèmes d’anxiété. Mais on a dit que je partais en vacances… Quand j’ai eu une crise d’angoisse lors de mes débuts internationaux face à la France, on a dit que j’avais une gastro-entérite. Mais personne ne veut en parler, le football ne s’intéresse pas à ça. L’anxiété affecte tout le monde différemment. Avec moi, c’était un vertige, je me sentais malade, de façon constante, 24 heures sur 24.« 

Même son de cloche pour l’Anglais Jesse Lingard. En 2019, le joueur de Manchester United subissait une telle pression qu’il ne prenait même plus de plaisir à jouer au football : « J’étais heureux d’être remplaçant. Je ne voulais pas jouer, mon esprit n’était pas là. J’avais l’impression de ne plus être moi-même, je n’étais plus Jesse Lingard… Quand je jouais, j’avais l’impression que le jeu me passait sous le nez, je ne voulais pas être là. » Ils sont nombreux à avoir vécu la dépression, mais peu à s’être exprimés publiquement sur leurs problèmes. Pour certains, ces problèmes psychologiques ont été passagers, d’autres les ont accompagnés toute leur carrière. Et parfois, les conséquences sont encore plus dramatiques.

En octobre 2020, Jeremy Wisten, un gamin anglais de 17 ans, s’est donné la mort. Ancien pensionnaire de l’académie de Manchester City où il a effectué sa formation, le club avait pris la décision de ne pas le conserver et donc de ne pas lui faire signer un contrat professionnel. Son rêve de footballeur s’est effondré en l’espace de quelques jours. Le jeune Wisten est alors tombé en dépression et quelques semaines plus tard, il s’est suicidé. Sa disparition tragique a fait réagir le monde du football sur le faible accompagnement et suivi psychologique des footballeurs.

Joueur de Manchester City, Cole Palmer rend hommage à son ancien coéquipier Jeremy Wisten

La parole se libère

Depuis une dizaine d’années, les footballeurs s’expriment plus facilement sur le sujet. Auparavant, les joueurs se renfermaient sur eux-mêmes et ne parlaient même pas de leur vie privée dans les vestiaires. Il y a désormais une prise de conscience. Les clubs ouvrent des cellules psychologiques et ouvrent la discussion plus facilement avec le joueur pour leur bien. Malgré tout, la fierté personnelle entre en jeu et ce n’est pas facile de la gérer comme l’a expliqué Paul Pogba ces derniers jours : « On est jugé tous les trois jours, on doit être bon tout le temps, alors qu’on a des soucis comme tout le monde, que ce soit avec nos partenaires, notre coach, dans la vie de tous les jours. Forcément, tu vas le ressentir dans ton corps, dans ta tête, et tu peux avoir un mois, même une année, où tu n’es pas bien. Mais il ne faut pas le dire. En tout cas publiquement. Tout est dans la tête, le mental contrôle tout et tous les sportifs de haut niveau passent par ces moments-là, mais peu en parlent. Des fois, tu ne sais pas que tu es en dépression, tu veux juste t’isoler, être tout seul, ce sont des signes qui ne trompent pas.« 

À l’image de tous les témoignages précédents, les footballeurs sont prêts à communiquer pour que la situation évolue. Une mauvaise santé mentale peut briser le destin de n’importe qui, footballeur ou pas. Dans cette profession si particulière où des résultats sont attendus, la pression peut prendre une nouvelle dimension. Mais pour le sélectionneur de l’Equipe de France, Didier Deschamps, il est normal d’avoir des consultations : « Il y a des spécialistes dans ce domaine-là. Tout le monde peut avoir des difficultés personnelles sur le plan psychologique. Ce n’est pas un sujet tabou. Ça ne concerne pas que les sportifs de haut niveau. Ce sont des périodes difficiles à vivre. La spécificité du sportif c’est que c’est lié à l’exigence. Pour certains, c’est du stress. Ça peut être difficile à gérer.« 

Louis Havet