« Qui veut acheter une femme ukrainienne ? » :  l’exploitation sexuelle des réfugiées tourne à plein régime

Alors que les hautes instances européennes alertent sur le risque pour les réfugiés ukrainiens d’être pris au piège dans des trafics d’être humain, les activistes dénoncent l’inaction même de l’Union européenne. Sur le terrain, les bénévoles observent les premiers drames s’écrire. Décryptage d’un phénomène légion en temps de guerre et dont le conflit russo-ukrainien ne fait pas exception. 

Le soleil est au zénith, et les revendications aussi. Ce samedi 26 mars 2022, il est 11 heures devant le Parlement européen à Bruxelles, lorsque trois activistes féministes françaises se dénudent pour « dénoncer l’inaction de l’Union européenne face à l’exploitation sexuelle des réfugiées ukrainiennes. » S’appropriant les codes du mouvement Femen, né en Ukraine en 2008, elles mettent en scène un proxénète, arborant sur ses seins nus l’inscription « L’Ukraine est mon bordel ». Sur les poitrines des deux autres militantes, on peut lire « à vendre » et « deux pour le prix d’une ». Les jeunes femmes n’hésitent pas à interpeller les hommes spectateurs de la scène en leur demandant s’ils veulent « acheter une femme ukrainienne »

« Ukrainiennes », « viol de guerre », « porno de guerre »

« Depuis le début de la guerre en Ukraine, nous savons que des hommes attendent aux frontières pour trouver des femmes à vendre dans leurs pays, notamment l’Allemagne, confie une des activistes au média belge Grenade, C’est possible, car les lois dans ces différents pays européens ont rendu la prostitution légale et donc le proxénétisme également. C’est la responsabilité de l’Europe de faire respecter les droits humains dans ces différents pays ». Ces derniers jours, plusieurs ONG basées aux frontières de l’Ukraine pour accueillir les réfugiés de guerre, dont l’Unicef, ont constaté la disparition de femmes et d’enfants.

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« Ukrainian girls », « War rape » « War porn ». « Ukrainiennes », « viol de guerre », « porno de guerre »… Depuis le début du conflit russo-ukrainien, ces termes sont devenus les plus recherchés sur Google et sur d’importants sites pornographiques telle la plateforme PornHub. Ce classement reflète la réalité plus sordide de la condition des femmes en temps de guerre. Agressions sexuelles, humiliations, mutilations, mariages, grossesses forcées et prostitution… Les violences exercées sur les femmes lors des conflits sont légion. Et la guerre en Ukraine ne fait pas exception. Aujourd’hui, les médias mettent en lumière la générosité des Européens dans l’accueil des réfugiés, mais des parts d’ombres subsistent. Les Ukrainiennes fuyant les combats se retrouvent sans logement, sans ressources dans un pays étranger, et deviennent des proies idéales pour les proxénètes et trafiquants en tous genres. 

90% des réfugiés ukrainiens sont des femmes et des enfants 

Dans la nuit du mercredi au jeudi 24 mars, le président ukrainien Volodymir Zelensky a appelé le monde entier à manifester contre la guerre et la traite d’être humain. Il faut dire que les réfugiés ukrainiens sont des proies idéales, un mois jour pour jour après le début de l’invasion russe. Plus de 3,5 millions de personnes ont fui l’Ukraine depuis le début de l’offensive, selon le dernier bilan dressé lundi 21 mars, par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).  Toujours d’après ce rapport, près de 90% des réfugiés sont des femmes et des enfants. 

Face à ces chiffres, les plus hautes instances européennes s’inquiètent et alertent sur le risque pour les réfugiés ukrainiens de tomber dans des réseaux de trafic d’êtres humains. Europol a ainsi exhorté, le 21 mars, les pays de l’Union européenne à rester attentifs à ce phénomène. D’après l’agence européenne de police, les zones les plus préoccupantes sont actuellement les frontières, les centres d’accueil et d’hébergement, ainsi que les gares ferroviaires et routières. Europol a rappelé que les groupes sur les réseaux sociaux sont des sources d’information précieuses pour les organisations criminelles :  ces groupes, créés par des bénévoles, partagent des demandes et des offres individuelles de soutien qui deviennent une mine d’or pour les trafiquants, leur permettant d’identifier et de contacter directement les victimes potentielles. 

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Des Ukrainiennes prostituées à la frontière roumaine

Des drames commencent à s’écrire. La semaine dernière des médias belges ont dévoilé, que l’inspection du travail et la police d’Anvers ont ainsi découvert trois Ukrainiennes, travaillant cachées dans une boucherie juive pour un salaire ridicule. Un autre cas recensé dans la presse belge fait état d’une Ukrainienne à qui un logement a été proposé en échange de faveurs sexuelles. Andy de Schipper, fondateur du groupe de soutien néerlandais aux Ukrainiens « Steun Oekraïne » sur Facebook, explique au  quotidien La Libre, avoir reçu des propositions qu’il estime être à « double sens » : des hommes se disent enthousiasmes à l’idée d’offrir un toit à des femmes ukrainiennes réfugiées. « Les administrateurs du groupe ont reçu des propositions pour offrir le gîte à des femmes ‘belles, jolies, intelligentes et attentionnées’ », peut-on lire dans les colonnes de La Libre, qui constate que « des Ukrainiennes sont même contraintes de se prostituer à la frontière roumaine. »

Aussi révoltant que cela puisse paraître, les violences sexuelles font malheureusement partie de la guerre. Mais si le trafic d’être humain est exacerbé par les conflits armés, il existe aussi en temps de paix, et ce, partout dans le monde. Toutefois, comme en Asie du Sud-Est, l’Europe de l’Est où se trouve l’Ukraine est une des régions où les trafiquants sont particulièrement actifs. Il faut dire que la traite des personnes est très rémunératrice : il s’agit de la deuxième source de revenus des organisations criminelles dans le monde, après le trafic de drogue. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), en 2014, le trafic d’êtres humains a généré 150 milliards de $ dans le monde. Toujours selon l’organisme, parmi les 40 millions de victimes en 2017, 10 millions étaient des enfants. 

Marie Chéreau