Chaque semaine, plusieurs milliers d’étudiants lillois se donnent rendez-vous pour boire. Au bar ou chez eux, ils consomment des quantités importantes en une seule soirée. L’intérêt : s’amuser. Mais ce mode de vie, s’il se prolonge dans le temps, peut affecter leur santé. Conscients du problème, ils décident pourtant de continuer.
Qui sort sans boire, sérieusement ? », questionne Adrien, étudiant en première année de master. Son interrogation résume à elle seule le phénomène qui gangrène la jeunesse lilloise : l’hyperalcoolisation. Souvent appelée « binge drinking », elle se caractérise par une consommation rapide d’alcool dans un temps déterminé. En France, le Baromètre santé de l’Inpes considère qu’il y a « Alcoolisation Ponctuelle Importante » (API), dès « 6 verres ou plus durant une même occasion ». S’il peut paraitre important, ce seuil est largement dépassé par une partie des étudiants. « Moins d’alcool, plus d’ivresse » expliquait la Société Française de Médecine d’Urgence (SFMU) dans un rapport publié en 2015. « En moyenne, sur une soirée, j’arrive facilement à une dizaine de verres voire plus », confie Gaetan, Lillois de 23 ans. Comme lui, ils sont des centaines à avoir ce mode de vie.
Entre envie et habitude
Plusieurs facteurs expliquent cette attirance pour l’alcool. Les effets qu’il procure est un des éléments de réponse. « Boire confie un sentiment d’euphorie intense qui nous désinhibe. Ça fait du bien », s’exclame l’étudiant en commerce. « Quand je bois, je suis toujours contente. Je rigole plus et je suis moins timide », témoigne Angèle, 21 ans. Adrien, lui, évoque « une tradition qui fait partie du folklore ». Il précise que c’est « toujours plus sympa de boire entre amis ». Surtout, l’alcool aide à la socialisation. Il pousse à faire des rencontres. « Cela permet aux personnes timides d’être moins gênées », avoue le jeune homme. C’est aussi une manière de tenir le rythme, comme pour Célestine, fraichement diplômée : « Quand je bois, je suis beaucoup moins fatiguée. Je me sens plus en forme. »
Cette consommation d’alcool excessive relève aussi plus de l’habitude que de l’envie. « Je ne sais pas vraiment pourquoi on boit autant… C’est vite devenu un prétexte pour se retrouver entre ami », révèle Gaëtan. Aujourd’hui, pour un étudiant, boire est presque devenu la norme. C’est un moyen de ne pas être mis à l’écart. Ne pas prendre d’alcool, c’est risqué d’être en marge : « Quand tous tes amis ont bu et que tu es le seul sobre, tu ne t’amuses pas de la même manière, poursuit-il. J’ai l’impression de ne pas être dans le même état d’esprit et ça m’énerve. » Angèle, elle, n’y voit pas d’inconvénient. Ou presque :: « J’ai déjà fait des soirées sans boire et je n’ai eu l’impression d’être laissée de côté. Après, quand tu vas en boite sans avoir bu une goute, c’est vrai que c’est beaucoup moins drôle… », finit par concéder la jeune femme.
Ce phénomène peut aussi être analysée d’une autre manière. Derrière cette envie frénétique d’être alcoolisé, se cache quelque chose de plus grave. « Je pense qu’une partie des jeunes, plus nombreuse qu’on le pense, boit car elle se sent mal, analyse Angèle. Ça traduit plus un mal-être profond ». Dans un rapport publié en 2015, la SFMU fait le même constat. Elle énonce que derrière le sentiment de sociabilité, il faudrait s’intéresser aux causes profondes de cette consommation. Citant, notamment, la recherche d’évasion comme véritable motivation.
Un mode de vie dangereux pour la santé
Cette alcoolisation à l’extrême pose problème. Et ce, dès le lendemain. Des symptômes apparaissent : fatigue mentale et physique, mal de tête, remontés acides… « Après un week-end de fête – 3 soirées d’affilé-, j’ai souvent le contrecoup », analyse un des étudiants. Parfois, cela donne lieu à des trous de mémoire. « Ça m’arrive assez souvent, confie Angèle. Je ne me souviens plus de rien. Un vrai black-out ». La jeune femme est loin d’être un cas isolé. « Les soirs où je ne conduis pas, je me lâche complètement. Impossible de savoir ce que j’ai fait la veille », témoigne Gaëtan.
Au-delà de ces lendemains compliqués, l’hyper-alcoolisation est dangereuse. Les conséquences peuvent être désastreuses. Surtout chez les jeunes. Dans une interview accordée à la Voix du Nord le 19 juin 2019, Jean-Louis Nandrino, professeur de psychopathologie à l’Université de Lille, tient à rappeler ceci : « Le cerveau est en maturation jusqu’à 15-20 ans et même jusqu’à 25 ans pour certaines fonctions. Ce qui l’abime, c’est de devoir s’adapter à une alcoolisation massive (un samedi soir de fête) à un sevrage très sévère (le lendemain, c’est dimanche, on est rentré chez ses parents), on ne boit pas. ». Ce risque pour la santé, certains le comprennent. Mais ne sont pas décidés à arrêter. « Évidemment que j’y pense. Mais je continue. Je me dis que c’est temporaire, seulement pendant ma vie étudiante. Une fois que j’aurai des responsabilités, ce sera terminé », déclare Adrien. D’autres, au contraire, ne se sentent pas concernés. « Non, ça ne m’inquiète pas plus que ça. Je pense que si je bois une seule fois avec excès dans la semaine et qu’après je suis raisonnable, alors les risques sont minimes », avoue Angèle
« Boire avec excès peut devenir embêtant »
Même s’ils aiment boire, parfois énormément, ces jeunes ne se définissent pas comme alcooliques. « Je n’ai pas envie de boire tous les jours, heureusement d’ailleurs ! », s’exclame Adrien. Boire avec excès peut devenir embêtant. On devient vite chiant ». Pour eux, boire n’est pas une fin en soi. Ils peuvent passer une soirée sans alcool. Surtout lorsqu’il y a des obligations. « Lorsque je conduis, pas d’alcool. C’est la règle. Ce n’est pas parce que j’aime bien profiter avec ma bande de potes que je dois faire n’importe quoi tout le temps, souligne Gaëtan. Parfois, il lui arrive d’y réfléchir à tête reposée et de remettre en question sa consommation : « Peut-être qu’on commence à être trop vieux pour faire la fête et boire comme ça, faudrait peut-être arrêter à un moment. Mais pour l’instant je n’arrive pas à dire stop.ll y a tellement monde qui sort, l’ambiance…Tu te dis que la semaine d’avant c’était tellement bien qu’arrêter ne sert à rien. »
Antoine Tailly
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