Le bio en marche : un pas en avant, deux pas en arrière ?

Le bio est un secteur à forte croissance depuis plus de dix ans déjà. L’industrie agroalimentaire l’a rapidement compris en investissant massivement ce marché à travers le développement de marques distributeurs « bio ». Que cache cette industrialisation ? La philosophie originelle de cette alimentation alternative fait-elle partie des priorités des géants du secteur tel que Carrefour, Auchan ou Leclerc ?

L’alimentation biologique a le vent en poupe. En France, depuis 10 ans le marché a explosé. Il représente aujourd’hui près de cinq milliard d’euros (mais seulement 2,5% du marché alimentaire total), pour une croissance d’environ 10% par an. Cette tendance, l’industrie alimentaire l’a largement anticipée en investissant massivement ce secteur. Aujourd’hui elle représente près de la moitié du marché, Carrefour en tête.

Qu’est-ce que le bio au juste ? C’est d’abord une philosophie, définie par une vision globale de notre monde. Un respect de toute la chaîne de production (producteur, éleveur, transformateur, vendeur, distributeur…) qui passe par une juste rémunération de chacun, une réduction des intermédiaires, une non-utilisation de la chimie, un respect du produit, un respect des saisons, un respect de la biodiversité, du bien-être animal, un respect de ce que l’on est et de ce que l’on peut exiger ; un respect aussi bien du vivant que de l’environnement (qui définit d’ailleurs les conditions de vie du vivant).

L’agriculture biologique, c’est aussi une réglementation juridique, qui varie selon l’exigence des différents labels : interdiction d’utilisation d’OGM, bannissement des rayons ionisants, préconisations de pratiques de travail du sol, rotation pluriannuelle des cultures, etc… Cependant des approximations et vides juridiques existent. Pour exemple, les textes exigent à propos des abattages des animaux que « leurs souffrances soient minimisées » sans pour autant apporter plus de précision. Découle de ce genre de généralité des traitements peu souhaitables pour n’importe quel être vivant.

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Sondage bva.fr du 3 mars 2014

L’industrialisation du secteur 

Que-ce passe-t-il aujourd’hui ? Les massifs investissements de l’industrie alimentaire dans le secteur biologique -marqué par l’apparition dans chaque magasin d’un rayon bio- menace cette vision des choses. Les dirigeants de ces grands groupes de l’alimentation (Auchan, Carrefour, Leclerc etc…) ont pour objectif de rendre le bio accessible à tous par une diminution des coûts c’est le fameux « bio et accessible », mais à quel prix ?

A ce moment les choses se compliquent. La logique moins-disante du marché pousse les industriels à raboter les exigences par lesquelles le bio –en tant que philosophie– se définit. Cela se traduit par l’importation de produits (hors saison) ; on peut trouver des fruits bio qui n’auront pas fait moins de 8 000 kilomètres car venant d’Amérique du sud, produit par des salariés sous-payés ; une viande gonflée au nitrite (permettant entre autre de fixer la couleur du jambon, élément si essentiel aux yeux de tout bon consommateur), et abattu dans des conditions déplorables (voir les vidéos de l’association de défense des animaux L214) et le tout restant certifié bio-lo-gique !

Images tournées par l’association L214 à l’abattoir du Vigan dans le Gard, abattoir certifié bio

Les conséquences de cette industrialisation de l’agriculture bio semblent hasardeuse voire désastreuse. D’un côté la logique de la baisse des prix de vente peut avoir un effet positif, en élargissant la base des consommateurs du bio. Jusque-là tout va bien. Mais si l’élargissement de la cible de ce marché se monnaye par une perte de confiance des prospects et des consommateurs du biologique, minée par la révélation d’affaires peu glorieuses sur les pratiques du secteur. La dynamique de ce marché pourrait alors être paradoxale ; une ouverture de ce secteur au plus grand nombre, mais une perte de confiance du plus grand nombre dans ce secteur.

L’agriculture biologique est un marché à deux vitesses. D’un côté les grands groupes industriels qui rabotent les exigences du milieu (à grand renfort de lobbying auprès de Bruxelles pour « déréglementer » ce marché, incitant soi-disant les producteurs agricoles à passer le pas vers le biologique). Puis les acteurs d’un bio (Biocoop, Naturalia  pour les plus connus, ainsi qu’une nuée de petits producteurs) qui tient la ligne de mire de sa philosophie ; respecter la nature et la totalité de la chaîne de production de l’aliment.

Des solutions existent

Alors forcément l’on pourra répondre que cela a un prix et que ce prix (en moyenne 10 à 40% plus élevé pour les produits Biocoop comparé au produits bio de la grande distribution) tout le monde ne peut l’acquitter, surtout lorsqu’on est étudiant. Ce à quoi nous pouvons répondre trois choses.

D’une, le premier pas possible, le premier garant d’une qualité minimale, est la consommation de produit de saison et local. Cette première solution évince d’emblée le problème économique ; ces produits étant même moins cher (ou en tout cas pas plus onéreux) car supprimant, entre autre, des coûts d’acheminement. Seul un changement d’habitude d’achat est nécessaire.

La deuxième chose à se figurer est qu’aujourd’hui, nous ne payons plus assez cher notre alimentation ; en 1980 la part des dépenses alimentaires dans le budget des foyers français était 2,5 fois plus importante qu’aujourd’hui.

Cette diminution des prix ce fait-elle en douceur, sans répercussions ? La maxime du « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » prend ici tout son sens. La diminution du prix pour le consommateur se retrouve dans la création d’externalités négatives pour la société. Pour faire simple, ce qu’on ne paye pas dans le caddie, nous le payons ; la société dans son ensemble le paye par la suite, via ses impôts et autres cotisations sociales.

Cela s’incarne par la destruction de l’environnement, qui aurait un coût évalué à 2 000 milliards de dollars chaque année pour reconstituer les ressources détruites selon un rapport de l’ONU ; la hausse des maladies qu’il faut bien soigner, créant un besoin de financement des caisses de sécurités sociales ; la hausse du chômage -conséquence sine qua non d’un nivellement par le bas de la qualité de notre alimentation explicable par l’automatisation de la production- demandant là aussi un financement d’allocations chômages. Ces coûts, bien qu’invisibles et distillés, sont bien réels pour notre société, mais notre vision court-termiste se focalise presque uniquement sur le prix déboursé en caisse.

Le dernier point sur lequel nous pouvons ouvrir une réflexion, pose la question de savoir dans quel monde souhaitons-nous vivre, du choix de notre philosophie commune. Souhaitons-nous une société dans laquelle nos choix alimentaires entretiennent un système qui sous paye les producteurs (il n’y a qu’à voir la crise du secteur laitier dans notre pays), les fait évoluer dans des conditions de travail déplorables ; produit des vies animales totalement « marchandisée », capitalisée, robotisée réifiée, dénaturée (alors que notre parlement vient de reconnaître les animaux comme étant « doué de sensibilité » et non plus seulement comme des biens meubles, des choses ; un bouleversement immense dans notre rapport juridique avec eux). Une société ou notre alimentation érodent petit à petit la productivité et la qualité de nos sols, de notre air, de nos organes (il n’y a qu’à aller voir les  répercussions sur la santé des additifs alimentaire, les e250, e371 et consorts pour s’en assurer). En définitive un monde dans lequel les hommes et femmes que nous sommes ne respectent plus rien de la seule richesse qui nous a été donner à la base ; notre corps et notre planète. Difficile de trouver un équilibre et un but commun dans cette logique.

Après tout l’on pourrait répondre que ce n’est pas le grain de sable personnel qui fera évoluer la dune commune, que l’on est bien trop insignifiant pour ça. On est surtout immergé dans nos occupations, détourné des conditions de notre production mondiale, de plus en plus sensible au « tout, tout de suite ! » cher à notre société marchande.

 « S’il y a une infime partie de l’univers que l’on peut changer assurément, c’est nous» gardons cette formule d’Einstein à l’esprit, elle pourrait être salutaire.

                                                                                                                                  Gary Libot