Petit Pays, prix Goncourt des lycéens

Prix Goncourt des lycéens 2016, finaliste du prestigieux prix Goncourt, prix du roman de la Fnac, Petit Pays avait de quoi intriguer. Il faut dire aussi que Gaël Faye s’attaquait à un sujet difficile pour deux raisons. Il relate la guerre qui a touché le Burundi en conséquence du génocide au Rwanda (en 1994) alors que ces conflits ont durant longtemps été tus. Gaël Faye passe pour cela par le filtre de son expérience personnelle dans un récit qui n’est pourtant pas autobiographique.

« La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c’est parce qu’ils n’ont pas le même territoire? – Non, ça n’est pas ça, ils ont le même pays. – Alors… ils n’ont pas la même langue? – Si, ils parlent la même langue. – Alors, ils n’ont pas le même dieu? – Si, ils ont le même dieu. – Alors, pourquoi se font-ils la guerre? – Parce qu’ils n’ont pas le même nez ». Page 10

Le regard d’un enfant sur la guerre

Gaby n’est pas censé se mêler de la politique, elle ne concerne que les adultes. Pourtant, au cours des événements les adultes semblent dépossédés d’une guerre qui les détruit. Ce sont les enfants qui prennent en main la guerre. Ils quittent leur enfance brusquement, sans vraiment comprendre au début. Il faut que la violence touche leur quotidien, leurs proches, pour que la guerre, qui n’était qu’un mot jusqu’alors, devienne réalité. Gaby le dit d’ailleurs, page 145 : « Un mois plus tôt, je n’aurais rien saisi ».

Le livre est placé à la taille de l’enfant. Depuis ses yeux, on voit les conséquences concrètes avec innocence : il ne peut pas aller à l’école ni voir ses copains, il juge le nouveau président à ses bonnes manières. Le langage de l’enfant accompagne cette vision. A la page 64, il dit ainsi « Et quand il riait, Alphonse, la joie repeignant les murs du salon de mamie ». En se plongeant dans ses souvenirs, le narrateur redevient enfant. Ce sentiment de voir à travers les yeux d’un enfant est exacerbé lorsque l’enfant prend lui-même la parole au travers des lettres qu’il écrit alors.

Un reportage d’Arte de quelques minutes revient sur Gaël Faye.

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Gaël Faye au Festival du bout du monde 2013 / CC Wikimédia

Le rapport aux mots

Gaël Faye publie peut-être son premier roman, il n’est cependant pas un novice en écriture. Son personnage, Gaby, tombe dans la littérature par hasard. Pour lui, c’était une issue de secours dans un Burundi en guerre. Les mots pour quitter la réalité, pour oublier le bruit des balles perdues. Ces mots lui ont permis alors qu’il était jeune de prendre de la distance par rapport à la violence, de ne pas sombrer dans la seule violence.

Pourtant ce sont ces mêmes mots que se réapproprie Gaël Faye à son arrivée en France. Il en fait un outil, en 2012 en sortant un album de rap. On retiendra notamment le morceau éponyme « Petit Pays ». Il y décrit les lieux, les odeurs, les sons de son enfance au Burundi. Les images qui accompagnent  son texte ne font qu’accentuer l’immersion dans cette culture si éloignée de la culture française. On y retrouve d’ailleurs la même référence à l’ombre des bougainvilliers que dans le roman.

Mais déjà dans son enfance, Gaby comprend l’importance des mots. Il remarque, alors qu’il est encore jeune, page 32, que « les commis ne méritaient pas de verbe ». La parole peut être violence. D’ailleurs, les scènes les plus frappantes et douloureuses du roman sont ces moments où les mots de la mère font mal. Avec Gaël Faye, la douleur semble devoir passer par les mots pour être concrète.

Pour son premier roman, Gaël Faye a su toucher les lecteurs, en témoigne la réception qu’il a eue de la part des prix littéraires. Il emploie une écriture sans fioriture. Les mots se suffisent à eux-mêmes pour exprimer les sentiments, les interrogations de Gaby, et dépeindre l’entrée en guerre civile du Burundi. L’empreinte de la vie personnelle de l’auteur donne tout son sens à l’insertion de la petite histoire personnelle dans la grande Histoire mondiale. Dans les prochains romans de Gaël Faye, espérons simplement qu’il laissera libre cours au lyrisme que les pages de Petit Pays suggèrent déjà.

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Rachel Pommeyrol