Chez Eugène Leroy, conversation entre impressionnistes et contemporains

« Parler des choses » est l’audacieux nom de l’exposition qui se tient au Muba Eugène Leroy de Tourcoing jusqu’en Mars 2019. Alors que l’offre culturelle est pléthorique au sein de la métropole lilloise, les musées rivalisent d’ingéniosité pour proposer des contenus toujours plus originaux aux visiteurs. Qu’en est-il de « Parler des choses » qui fait le pari de rassembler (entre autres ! ) Monnet, Picasso et Claudel sous un même toit.

S’inviter dans la demeure du peintre, proposition alléchante pour tout.e amateur.rice d’art… Et promesse tenue par le Muba Eugène Leroy de Tourcoing ! Entrer dans le musée, c’est s’inviter dans l’ancienne habitation du peintre. Lieu propice donc à tisser un lien immédiat entre visiteurs et oeuvres… Le dimanche après-midi, c’est le conférencier Tristan Heili qui s’attèle à la création de ce lien. Trentenaire, grand brun à lunettes, guide ou conteur (Tristan révèle d’ailleurs en fin de visite qu’il a sa propre compagnie de théâtre), il captive instantanément son auditoire. 

Au commencement est le paysage

Les festivités commencent par le salon. On y retrouve Guillemet et Corot côte à côte. Première partie consacrée aux paysages. Sur la gauche, un Guillemet extrêmement académique. Tous les codes du paysage classique sont respectés pour représenter une clairière dans la forêt de Fontainebleau. Les longueurs sont horizontales, et les trois éléments clefs du paysages y figurent : le ciel, le sol (terreux) ainsi que la ligne d’horizon. L’oeuvre date de 1879 et Tristan Heili explique que l’académisme de cette peinture est logique, le genre du paysage est encore récent, il naît réellement en 1841. Pourquoi si tardivement ? Pour des raisons logistiques. C’est en 1841 qu’apparaît le tube de peinture qui condense les pigments, solvants et liants qu’il fallait jusqu’alors déplacer dans des broyers et autre coupelles ! Sur la droite, le paysage de l’impressionniste Corot est révolutionnaire, l’artiste privilégie une grande verticalité en peignant son chevrier, joueur de flûte de pan, sous un ciel aux couleurs dégradées. 

Elmar Trenkwalder côtoie ces maîtres du XIX e siècle. L’artiste autrichien contemporain expose également sa vision du paysage dans ce salon tourquennois. L’onirisme est son leitmotiv. Arbres  à plumes, oeil-soleil, chevelure de ruisseau, les peintures et sculptures de Trenkwalder s’apparentent à de multiples invitations au voyage. 

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Elmar Trenkwalder, WVZ 69, 2002 et WVZ 0242-S, 2011

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Permanente et provisoire. 

L’oxymore donne son nom à la seconde partie de l’exposition « Parler des choses ». Il vient du savant mélange d’oeuvres établi par le scénographe Yannick Courbès. La patte du Muba, c’est lui. Il a pensé l’atelier de l’artiste, adjacent au salon, en mêlant des oeuvres permanentes à d’autres provisoires. Des natures mortes de Picasso sont exposées à côté de son « Pierrot Assis ». Toutefois, l’objet le plus intrigant de la salle n’est autre… qu’un lit. Celui de Frederic Vasel, en l’occurence, qu’il a tapissé des oeuvres les plus importantes de l’Histoire de l’art. Derrière, ce sont les murs de l’antre de Leroy qui sont eux-mêmes tapissés des études de nus de l’hôte de ces lieux. 

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 Frédéric Vasel, Le lit 

« Vis ! Bouge ! Danse ! Chante ! »

La dernière salle de l’exposition est logiquement consacrée à Eugène Leroy en personne. L’artiste est né à Tourcoing en 1910 et décédé à Wasquehal en 2009. Son fils a fait une donation de 600 de ses oeuvres au Muba, qui a de quoi s’enorgueillir d’une telle collection. Les toiles d’Eugène Leroy frappent par leurs aspérités. Ce sont différentes couches de peintures superposées, dont le mystérieux sujet tarde à se révéler. Il faut prendre du recul, s’éloigner des oeuvres pour distinguer les traits de peinture blanche sur les surfaces irrégulières. Souvent, ce sont des personnages. Et Tristan Heili de narrer les rencontres entre modèles et peintre. Eugène Leroy accueillait ses modèles chez lui et, fasciné par le mouvement, il leur ordonnait « Vis ! Bouge ! Danse ! Chante ! ». On découvre ainsi des sujets flous, semblables aux foules tourbillonnantes des photographies de Doisneau, par exemple. Toute sa vie, Leroy a voulu représenter la lumière.   

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Eugène Leroy, Sans titre, 1980-90 (Techniques mixtes sur papier) 

Sophie BASQUIN