Thierry Roland : Quand « la voix du football » résonne encore dans nos têtes

A la simple évocation de son nom, des paroles viennent à l’esprit. Pour certains, la maxime la plus connue, bien sûr, au coup de sifflet final de la coupe du monde 1998 remportée par la France : « Je crois qu’après avoir vu ça, on peut mourir tranquille ! Enfin, le plus tard possible mais…on peut ! ». Mais pour d’autres, ce sont des phrases parfois plus anodines, parfois plus cinglantes. Lorsqu’un commentateur est célèbre pour ses mots, une chose est sûre : Thierry Roland est une légende du football français.

Pourtant, le natif de Boulogne-Billancourt n’a jamais foulé les terrains de football professionnels. Il va plutôt passer la majeure partie de sa vie à raconter, nous faire vivre les matchs par sa voix et ses commentaires, avec une carrière dont la longévité ferait pâlir n’importe quel joueur. Quelques chiffres suffisent à classer le bonhomme : 57 ans à l’antenne, 13 coupes du monde et 9 « Euros » commentés, qui contribuent aux 1360 matchs de football lors desquels Thierry Roland a transmis sa passion pour le ballon rond.

Mais avant d’être « la voix du football » en France, comme certains le surnommaient, Thierry Roland est un précurseur du journalisme sportif. En 1955, c’est à la radio qu’il est engagé par Georges Briquet pour commencer sa carrière au service sports de la RTF (qui deviendra l’ORTF pour Office de Radiodiffusion-télévision française). Il participe ensuite à l’émission Les Coulisses de l’exploit, où sont passés d’autres grands du métier comme Michel Drucker, Robert Chapatte ou encore Roger Couderc.

Lancé par Raymond Marcillac, le créateur du premier service des sports à la télévision française, Roland devient rapidement un référence comme journaliste et commentateur sportif, particulièrement axé sur le football. Dès 1962, il commente sa première coupe du monde, alors âgé de « seulement » 25 ans. Six ans plus tard, il est victime des nombreux licenciements dans la radio-télévision publique qui font suite aux évènements de mai 68. Il rejoint alors France Inter avant de retourner à la télévision en 1975, sur Antenne 2. Il commente en duo avec Bernard Père durant quelques années, mais c’est un footballeur tout juste retraité qui va rapidement devenir le binôme de référence de Thierry Roland : Jean-Michel Larqué.

Le duo Roland-Larqué : un tandem mythique

En 1979, Jean-Michel Larqué vient tout juste de mettre fin à sa carrière de joueur professionnel. Figure de l’AS Saint-Étienne où il a joué plus de 400 matchs en 11 ans (1966-1977), c’est après deux saisons oscillant entre entraîneur et joueur pour le Paris-Saint Germain que Larqué se dirige vers une reconversion en devenant commentateur sportif. Si cette trajectoire est devenue commune de nos jours (Bixente Lizarazu, Franck Leboeuf ou encore Christophe Dugarry pour ne citer qu’eux), le futur partenaire de Thierry Roland est à l’époque le premier joueur à réaliser une telle passerelle en France. 

C’est ainsi que naîtra sur Antenne 2 un duo Thierry Roland – Jean-Michel Larqué qui perdurera pendant plus de 30 ans, toujours à la télé mais sur 3 chaînes différentes. Car en 1984, après déjà 5 ans de commentaires communs, c’est ensemble que Roland et Larqué quittent la 2ème chaîne pour rejoindre TF1. 

Ils y effectueront la majeure partie de leur carrière, et se rendront célèbres en y animant pendant 19 ans l’émission du dimanche matin devenue culte : Téléfoot. Thierry Roland continue cependant de commenter les matches, toujours accompagné de l’ancien stéphanois, et les deux compères vivent ensemble de nombreuses rencontres. Ils sont notamment aux commentaires des matches de l’équipe de France, mais ils sont aussi présents lors du drame du Heysel en 1985, ou encore de l’effondrement de la tribune de Furiani en 1992.

De par cette carrière, Thierry Roland devient rapidement un symbole, la voix qui accompagne les supporters et spectateurs dans l’actualité du football à la fois français et mondial. Cela se traduit notamment par le 7 d’or du meilleur journaliste sportif qu’il remporte en 1997. Trois ans plus tard, il est même fait chevalier de la Légion d’honneur par la Président Jacques Chirac, tout comme son binôme Jean-Michel Larqué. Thierry Roland est donc au sommet de se carrière, mais c’est alors que sa santé va le rattraper et lui causer une première retraite anticipée.

Thierry Roland et Jean Michel Larqué en 1997, le duo de commentateurs phare du football français (Crédit Photo : Jean-Paul Thomas/SIPA)

En 2003, il est victime d’une rupture d’anévrisme et est contraint de s’éloigner des terrains. TF1 en profite pour lancer à sa place Thierry Gilardi, aux commentaires des matches mais aussi à la présentation de Téléfoot, qu’il animera avec brio pour devenir rapidement lui aussi une référence en la matière. Mais Roland ne se laisse pas abattre et revient pour commenter des matches de Coupe de France, et continue ses activités sur TPS Star, la chaîne filiale de TF1. Pourtant, le 17 novembre 2004, Thierry Roland annonce commenter son dernier match de l’équipe de France lors d’une rencontre amicale face à la Pologne. Et en juin 2005, Roland officie aux commentaires de la finale de la Coupe de France opposant Auxerre à Sedan pour ce qui sera son dernier match sur TF1, qu’il quitte à l’issue de la saison. 

Mais trois mois plus tard, à la surprise générale, Thierry Roland sort de sa retraite ! Alors âgé de 68 ans, il répond à l’appel de M6, qui se lance alors dans la diffusion de compétitions sportives et souhaitait engager un commentateur reconnu. « La voix du football » repart donc pour un tour, et commente une partie des matches de la Coupe du monde 2006 dont la chaîne dispose avec l’ancien champion du monde Franck Leboeuf. Mais c’est malgré tout la paire qu’il formait avec Jean-Michel Larqué qui restera gravé dans les mémoires, eux qui reformeront le duo lors d’un Roumanie-France en 2011, toujours pour le compte de M6. C’est d’ailleurs sur cette chaîne que Roland devait commenter les matches de l’Euro 2012, accompagné de son compère de toujours, mais il dut renoncer à la dernière minute pour des problèmes de santé.

Et c’est à peine 10 jours après le début de la compétition que Thierry Roland nous quitte, à l’âge de 74 ans, des suites d’un accident vasculaire cérébral. La légende dira, selon le journaliste Jacques Vendroux, que « Thierry à regardé le match de l’équipe de France puis s’est endormi ». Comme un symbole pour celui qui aura retranscrit l’attitude de beaucoup de supporters français dans l’Hexagone, et dont la voix résonnera toujours dans l’esprit de ses derniers…

Un « franco-français » au franc-parlé controversé

Mais si Thierry Roland a brillé par sa voix, il a aussi parfois choqué par ses paroles. Loin d’avoir sa langue dans sa poche même à la télévision, ce chauvin pur et dur est aussi remarqué pour ses commentaires de « supporter », là où son binôme Larqué pouvait apporter une analyse plus technique. Son dévouement à l’équipe de France constitue ainsi une force dans son métier, mais aussi une des principales critiques dont il a été victime durant sa carrière.

Ayant aussi vécu au plus près les différentes épopées de la délégation française de football, le côté franchouillard de Thierry Roland est rapidement ressorti. Dès 1976, il s’emporte contre l’arbitre du match Bulgarie-France, qualificatif pour la Coupe du Monde 1978, après un penalty sifflé contre la France pour une faute jugée litigieuse : « Alors ça, je n’ai vraiment pas peur de le dire, Monsieur Foote, vous êtes un salaud ! ». Il récidive 10 ans plus tard, contre un arbitre roumain qu’il juge coupable de ne pas siffler assez de fautes pour les Français en disant : « Je n’ai jamais vu un fumier pareil ».

Mais ces humeurs que Thierry Roland dévoile à l’antenne ont parfois été plus percutantes, allant même jusqu’à la limite du racisme et de la controverse. Il commente ainsi la ressemblance des joueurs coréens lors d’un amical France-Corée du Sud juste avant la Coupe du monde 2002 (qui se déroulera d’ailleurs en Corée du Sud et au Japon) : « Il n’y a rien qui ne ressemble plus à un Coréen qu’un autre Coréen, surtout habillé en footballeur, d’autant qu’ils mesurent tous 1,70 m, 1,75 m, et qu’ils sont tous bruns sauf le gardien ». Il nous gratifie 5 jours plus tard d’une remarque toute aussi clichée lorsque les esprits s’échauffent entre Patrick Viera et plusieurs joueurs sénégalais : « Il se bagarre, Viera, contre ses cousins ».

Thierry Roland a même frôlé l’incident diplomatique lors de la Coupe du monde 1986. Il commente le quart de finale Argentine-Angleterre, qui voit les premiers cités s’imposer 2-1 avec un but marqué de la main par Maradona, la fameuse « Mano de Dios » (comprenez main de Dieu). Une irrégularité pourtant non-sifflée par l’arbitre tunisien Ali Bennaceur, provoquant la colère de Roland qui s’adresse à son binôme : « Est-ce que vous croyez pas Jean-Michel honnêtement, que dans un monde grand comme il est, il y a autre chose qu’un arbitre tunisien pour diriger un quart de finale de la Coupe du Monde ? ». Thierry Roland ainsi que le gouvernement français ont dû présenter des excuses officielles au gouvernement tunisien suite à ce discours, mais notre commentateur n’en démord pas : cette erreur aurait faussé le match et la compétition.

Thierry Roland était donc un personnage haut en couleurs et en paroles, qui lui valurent à la fois le respect et les critiques de l’opinion publique. Commentateur iconique dans l’histoire du football français, il aimait l’équipe de France tout autant qu’il aimait son pays, tout simplement. Un franchouillard au caractère bien trempé, qui formera un duo de choc avec son collègue et ami Jean-Michel Larqué, qui se voudra lui plus nuancé et calme. Les deux font la paire, pourrait-on dire. Quoi qu’il en soit, et quoi que Thierry Roland ait pu dire durant ces milliers d’heures passées à commenter des matches, il aura réussi à faire vibrer chacun de nous devant notre poste, au moins une fois. Et je crois qu’après avoir vu ça, on peut mourir tranquille.

Antoine JAMES