Coupe du monde 2022 au Qatar : quand la géopolitique prend le dessus sur le sport

Depuis des années, la Coupe du Monde de Football est un événement qui rassemble et déchaîne les passions. Néanmoins, cette édition de 2022 au Qatar ne fait pas parler d’elle pour de bonnes raisons. Entre la corruption et le non-respect des droits de l’homme, les intérêts économiques semblent avoir pris le dessus sur le sport et l’humain.

Il y a un an, on se demandait si la Coupe du Monde au Qatar serait un fiasco, mais aujourd’hui, où en-est-on, à quelques mois de son coup d’envoi ? Pour comprendre la tournure des événements, il faut revenir à la source de cette Coupe du Monde, le 2 décembre 2010, lorsque le Qatar a été élu pays hôte. Cinq pays étaient candidats pour l’organisation : l’Australie, le Japon, la Corée du Sud, les États-Unis, et donc le Qatar. C’est dans un décor de rêve et dans un pays qui n’a jamais participé à une Coupe du Monde, que le football s’apprête à poser ses pieds pour la première fois. Pourtant c’est un choix qui fait parler. Déjà, parce que le Qatar n’a jamais organisé de grands événements sportifs. Le pays est donc assez peu développé en structures sportives. Au total, douze stades seront nécessaires. Huit seront construits et quatre rénovés.

Des travailleurs sur le chantier du stade de Lusail, au Qatar, en 2019. Crédit : Guiseppe CACACE / AFP.

Au-delà même du sportif, l’aéroport de Doha sera agrandi afin de doubler les capacités d’accueil pour atteindre 60 millions de passagers par an. Il en va de même pour les transports routiers ou les transports en commun où un grand projet de métro à 80 milliards de dollars a été lancé. Une centaine de nouvelles stations verront le jour ainsi que des halls luxuriants et gigantesques. On estime que l’ensemble des travaux et investissements entrepris par le Qatar fluctue entre 200 et 300 milliards de dollars. Ce coût économique est doublé d’un coût écologique. Quand le projet avait été attribué au Qatar il y a plus de 10 ans, il était prévu d’avoir une compétition neutre en carbone. Mais aujourd’hui, la réalité est toute autre. En 2021, le bilan carbone de la Coupe du Monde avoisinerait 3,6 millions de tonnes de CO2, c’est-à-dire 70% de plus que la coupe du monde en Russie en 2018. Il ne cesse d’augmenter alors que le système de climatisation dans les stades n’est toujours pas pris en compte. En France, Yann Arthus- Bertrand, militant écologiste était convaincu et avait soutenu le projet 100% écologique annoncé par le Qatar en 2010. Mais avec les années et le recul, il s’est bien rendu compte qu’il ne s’était pas assez plongé sur l’étude de ce dossier : “C’est vrai que je ne suis pas un malade de foot. A aucun moment je n’avais réfléchi que la Coupe du Monde se passe pendant l’été et que c’est impossible au Qatar. (…) J’étais un peu léger, mais sincèrement, jamais je n’aurais pensé que le Qatar aurait la Coupe du Monde. Je me disais que je ne risquais rien. C’est une connerie. Je n’aurais pas dû soutenir cette candidature.”

6750 ouvriers décédés au Qatar depuis 2010

Et pour couronner le tout, c’est le non-respect des droits de l’homme et l’exploitation des travailleurs qui créent la polémique. En 2013, on dénombrait déjà 44 ouvriers décédés sur des chantiers liés à la Coupe du Monde. Tous exerçaient dans des conditions d’exploitation qui s’apparentent à de l’esclavage moderne d’après le journal Le Monde. A noter que la main-d’œuvre au Qatar est composée à plus de 90% d’immigrés. On parle de travail forcé, parfois sous une température de plus de 50°, on parle de violences, de refus d’accès à de l’eau ou des conditions de vie insalubres. Au total, le journal britannique The Guardian estime à 6.750 le nombre d’ouvriers décédés depuis 2010.

Derrière tous les ravages qui découlent de l’organisation de cette Coupe du Monde, l’intérêt pour les qataris est économique. Un tel événement va leur permettre de développer et d’accélérer leurs initiatives en ce qui concerne le développement urbain, mais aussi de diversifier leur économie. Le pays s’est développé autour du pétrole, et à l’heure actuelle, le tourisme ne représente que 3% de leur PIB. Chaque année, le Qatar accueille 2 millions de touristes. La Coupe du Monde devrait à elle seule attirer 1,5 millions de personnes pour un bilan économique 20 milliards de dollars, soit 11% du PIB annuel grâce à cette compétition.

Zurich, le 2 décembre 2010 : Le Président de la FIFA, Joseph Blatter, confirme l’attribution de l’organisation de la Coupe du Monde 2022 au Qatar. Crédit : Karim JAAFAR / AFP.

Côté sportif, un paramètre important a été modifié pour l’organisation de cette coupe du monde 2022 : les dates. Au Qatar, le climat désertique et les températures avoisinant 50 degrés ne permettaient pas d’organiser l’événement sur la période habituelle, en juin/juillet. Pour la première fois de l’histoire, la Coupe du Monde se déroulera donc en hiver, du 21 novembre au 18 décembre prochain. On peut penser que les audiences souffriront de ce changement de calendrier, alors qu’on a l’habitude de suivre le mondial vers juin/juillet et souvent en vacances, mais alors que la finale 2022 aura lieu à une semaine de Noël et le jour de la fête nationale du Qatar, le marché télévisuel potentiel reste estimé à 3,2 milliards de téléspectateurs, ce qui en ferait le 2ème évènement sportif le plus suivi derrière les Jeux Olympiques.

Vers un tournoi à 48 pays pour toujours plus de spectacle

Et ce changement a des conséquences sur le plan sportif, notamment pour les joueurs. D’habitude, ils disputent la coupe du monde après la fin de la saison en club. Cette année, l’événement a lieu en décembre soit au milieu de la saison sportive. Cela va donc obliger tous les championnats nationaux à prendre un mois de pause en pleine saison. De plus, les joueurs qui batailleront avec leurs équipes respectives ne seront autorisés à partir en sélection nationale que le 14 novembre, soit une semaine seulement avant le début de l’évènement. De fait, contrairement à une coupe du monde plus “classique”, les joueurs n’auront cette fois que 7 jours de repos et de préparation, alors qu’ils ont l’habitude de jouer la Coupe du Monde en été, plusieurs semaines après la fin de saison avec leur club. Avec ces changements, on pourrait ainsi voir des rencontres moins spectaculaires du fait de la fatigue et du manque de préparation, mais aussi plus de blessures, avec des joueurs qui ne disposeront pas de l’habituelle “trêve hivernale” et enchaîneront des matches tous les 3 à 4 jours. Si plusieurs joueurs ont déjà dénoncé le rythme effréné imposé par les instances, cela semble être le prix à payer pour des structures qui veulent toujours plus d’événements à jouer, vendre et diffuser.

Ces éléments nouveaux ne sont en fait que les résultats de la stratégie d’expansion de la FIFA. Si le football reste le sport le plus populaire à travers le monde, il y a toujours de nouveaux espaces où le ballon rond doit encore se faire connaître. Ainsi, jusqu’en 1994, toutes les coupes du monde ont eu lieu dans un pays d’Europe ou d’Amérique du Sud, des terrains déjà conquis par la FIFA. Mais depuis, le mondial s’est installé dans des contrées alors jamais explorées : États-Unis (1994), Corée du Sud et Japon (2002) ou encore Afrique du Sud (2010)…Et cette année, le Qatar est dans la continuité de ces choix : un pays qui n’a jamais joué de grandes compétitions internationales, pointe au 52ème rang du classement FIFA des nations et est le pays organisateur le moins peuplé depuis l’Uruguay lors de la première coupe du monde (1930).

Malgré ces diverses particularités, la FIFA s’entend avec les qataris sur la volonté de se développer à l’international. A ce propos, le format sera modifié dès la prochaine édition, en Amérique du Nord (candidature commune des États-Unis, du Mexique et du Canada). Longtemps discuté pour être lancé dès l’édition qatarie, le mondial 2026 sera finalement le premier à 48 pays, contre 32 actuellement. Réparti dans 16 groupes de 3 équipes avec 32 qualifiés pour les phases finales, les nations auront donc plus de chances d’intégrer et de faire un beau parcours en Coupe du Monde, mais on risque aussi de voir des rencontres au niveau plus disparate, entre les cadors et les pays moins habitué du plus haut niveau mondial…Les organisateurs y voient là une opportunité parfaite d’obtenir plus de spectateurs avec plus de pays engagés et plus de matchs pour de meilleures retombées, qu’elles soient économiques ou simplement en termes de popularité.

Les attaquants internationaux norvégiens Erling Haaland et Alexander Sorloth portant, comme le reste de l’équipe, un t-shirt en faveur des « Droits Humains ». Crédit : FC Geopolitics via Twitter

La Coupe du Monde au Qatar a donc fait basculer l’événement sportif en objet de contestation politique et sociale. Quatre sélections de football ont même appelé à boycotter le mondial 2022 pour défendre les droits de l’homme : l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas et la Norvège. Cependant, derrière le message, les actes ne suivent pas : une preuve que les pays iront à la Coupe du Monde, peu importe ce qui passe là-bas. Mais l’essentiel est ailleurs : d’autres appels au boycott ont été lancés sur les réseaux sociaux et dans les médias, et même si ceux-ci ne devraient pas réellement aboutir, la mobilisation a le mérite d’éveiller les consciences et de créer le débat pour n’importe quelle personne concernée par l’événement, de près ou de loin. Il est trop tard pour empêcher la compétition de se tenir, mais il n’est pas trop tard pour s’assurer que, quand elle se tiendra, on posera les bonnes questions…

Antoine James & Louis Havet