Religion : « Malgré le coronavirus, le lien est resté très fort avec les fidèles »

Yves-Arnaud Kirchhof, prêtre au Perreux-Sur-Marne est revenu sur une année 2020 compliquée pour tout le monde. Invité à nous parler de la situation des célébrations religieuses durant cette période exceptionnelle, il n’a pas hésité à montrer son incompréhension à la suite des décisions gouvernementales tout en restant très responsable face à la pandémie. Entretien.

Yves-Arnaud Kirchhof (crédit image : Twitter)

Quel a été votre sentiment à la suite de l’annulation des messes en présentiel en octobre ?

Cela n’était pas nouveau. On avait déjà subi cela durant le premier confinement. L’incompréhension a plus été par la suite quand on nous a donné ce chiffre maximal de 30 personnes qui était celui fixé pour les obsèques. Cela a été décidé de manière absolue et direct. On attendait une décision proportionnée par rapport au nombre de m2. Mais pas forcément avec un chiffre fixe qui ne représente aucune réalité.

Un manque de cohérence selon vous ?

Oui complètement. Heureusement que le Conseil d’Etat s’était prononcé en notre faveur. Si on décide pour une répartition en m2, on le fait pour tout le monde. Sinon, cela n’a pas de sens.

Comment avez-vous donc continué à célébrer les messes durant ces deux confinements ?

Il y a plusieurs cas. Durant le premier confinement, on ne pouvait célébrer avec aucun fidèle. Moi, je le faisais tout seul dans mon église avec potentiellement un autre évêque présent notamment à Pâques.

Durant le deuxième, on a suivi les directives de mettre un espace de 6m2 entre les personnes. On a dû réaménager l’église, les bancs, mettre des sens de circulation au sol, prévenir les paroissiens qu’il fallait absolument mettre un masque sauf pour communier. Cela nous a forcés à nous adapter d’une façon qu’on ne connaissait pas.

« On a gardé cette notion de communauté et j’en suis heureux »

Comment avez-vous gardé le lien avec les fidèles ?

Tout le monde s’est organisé à sa façon. Certains ont mis une vidéo en ligne de la messe qu’ils avaient effectué. Nous, on a choisi complètement autre chose. Pour des raisons techniques, je ne voulais pas mettre de célébrations en direct. J’ai décidé de garder un lien en proposant des réunions hebdomadaires à l’occasion de grands événements ou de grandes fêtes où on retrouve la parole de Dieu, un commentaire du prêtre, des prises de parole et des chants de la part des paroissiens. J’en suis content car je n’étais pas le seul à participer mais on faisait cela en communauté. Le lien est donc resté très fort et j’en suis heureux.

Continuez-vous ces réunions pour ceux qui restent sceptiques à l’idée de revenir dans les églises ?

Tout à fait. Cela me demande une journée de travail de plus par semaine. Mais ce n’est pas grave. Cela me permet de voir des personnes que je n’ai pas pu saluer physiquement depuis plusieurs mois.

Les règles protocolaires sont-elles bien respectées par les fidèles ?

On a un service d’ordre pour filtrer les personnes. Dès que les gens arrivent, on ne leur laisse pas le choix. On leur met du gel en spray et cela ne pose de problèmes à personne. On vérifie que le masque est bien porté. Au début du déconfinement au mois de mai, cela a été très difficile car certains n’en avaient pas, rappelons qu’on a été approvisionné tard. Mais, aujourd’hui, il n’y a pas de soucis, tout le monde respecte très bien.

« Je dois mettre six fois du gel durant une messe »

De votre côté, que devez-vous faire ?

Je dois mettre six fois du gel durant une messe. La première fois avant la parole de Dieu, car quelqu’un a parlé au pupitre. Ensuite, en débutant la partie que l’on appelle la prière eucharistique. Puis, juste avant d’aller chercher les hosties. La quatrième fois avant de célébrer la communion. L’avant-dernière après l’avoir distribuée. Puis tout à la fin de la messe pour donner l’exemple. Je me suis découvert maniaque alors que je ne le pensais pas.

Vous êtes-vous découvert d’autres qualités ?

Oui. Cela aura permis de développer le nombre de visioconférences que l’on utilisait très peu auparavant comme le télétravail dans certaines entreprises. On ne peut pas tout faire à distance, certaines réunions sont indispensables en présentiel. Cela dit, sans cet outil, nous n’aurions pas eu la possibilité d’avancer.

« La visioconférence est un progrès qui nous a été imposé par la situation »

Outre les messes par visioconférence, en quoi cet outil vous-a-t-il permis d’avancer ?

Je vais vous donner un exemple. On a proposé aux enfants du catéchisme, aux adolescents de l’aumônerie et à leurs parents de faire un geste de solidarité à Noël. On s’est dit, personne ne va le faire durant cette période de confinement. On a fait une sorte de click and collect sur Internet, où des gens se sont inscrits et ont déposé des cadeaux pour des familles qui n’ont pas vécu les fêtes avec du monde. C’est un vrai progrès qui nous a été imposé par la situation.

Ce contexte pousse-t-il à une certaine réticence envers la foi ou au contraire à un soulagement de pouvoir se confesser en ces temps compliqués ?

Il y autant de paramètres qu’il y a de situations. Je pense que c’est valable partout. Tout le monde réagit de manière personnelle à cette situation. On a des réactions mesurées et démesurées. Le résultat est qu’il y a des personnes que je ne vois plus depuis neuf mois. Je sais qu’elles sont là, elles nous envoient des messages mais ne veulent pas prendre le risque de venir en église sous peine de contracter la maladie. Dans le sens contraire, de nouveaux fidèles sont apparus depuis le mois de septembre notamment des familles qu’on voyait très peu souvent et viennent maintenant régulièrement. Une résurgence de la foi, je ne sais pas, mais en tout cas il y a des questions nouvelles qui se posent.

« Noël a demandé une grosse réadaptation »

Comment vous-êtes vous organisés pour les fêtes de fin d’année notamment Noël qui est très important pour vous ?

Bien évidemment, la messe de Noël draine énormément de monde notamment des personnes qui viennent une ou deux fois dans l’année. Il y a eu des familles qui ont voulu célébrer Noël. Beaucoup de mes confrères ont de ce fait augmenté le nombre de messes. Nous, on l’a doublé pour éviter que tout le monde se rue à la même. Habituellement, la célébration amène 800 personnes. On a donc décomposé pour que cela puisse se faire en trois temps. Cela nous a donc demandé de l’adaptation.

Combien accueillez-vous de fidèles par messe ?

Ce n’est pas vraiment le nombre qui compte mais celui par rapport à l’accoutumée. En général, on est à deux tiers de ce qu’on accueille d’habitude. Tout dépend des messes aussi. J’ai trois lieux de culte chez moi. Je peux par moment célébrer avec 90 personnes ou avec 300. C’est très variable. Le nombre n’est donc jamais le même.

« Après les attentats de la cathédrale de Nice, la crainte était palpable »

Ressentez-vous aussi une certaine crainte par rapport aux attentats ?

Au lendemain des attentats à la cathédrale de Nice, je peux vous dire que c’était palpable. Je ne vais pas vous le cacher, il n’y a pas un seul soir au moment où je ferme l’église, où j’ai une petite appréhension personnelle car il fait noir et que quelqu’un puisse se cacher. Après pour moi ce n’est pas gravissime. C’est davantage en cas de célébrations avec d’autres personnes. On y pense.

Les attentats font-ils plus peur aux paroissiens que la pandémie ?

Je ne pense pas que les paroissiens sont plus marqués par les attentats que par les restrictions liées à la pandémie. Cela n’empêche rien. Je discute avec les uns et les autres et tout le monde y pense. Nous savons que les forces de police et militaire surveillent les lieux de culte afin de nous protéger. Personnellement, cela me travaille l’esprit comme mes confrères mais cela n’empêche pas les fidèles de venir au contraire de la pandémie.

Nathan Bricout