Maïa, éducatrice sexuelle d’une génération décomplexée

Journaliste de formation, Maïa Mazaurette – c’est un pseudo – est devenue experte dans les médias sur les questions de sexualité. Passionnée, rigolote et indulgente, elle délivre à tire larigot ses petits conseils sexos pour éveiller les désirs et les plaisirs de son lectorat. Portrait.

Elle cavale partout depuis la rentrée. Pont de Grenelle, Boulogne, Gare d’Austerlitz, Maïa Mazaurette enchaîne les plateaux télés, radios et les chroniques pour différents blogs et journaux. Son minois roux est ultra demandé. Affublée du titre de première sexperte de France, tout le monde se l’arrache. Septembre 2020 l’a fait entrer dans une autre sphère : attablée au plateau de Yan Barthès, pour Quotidien, et à celui de Nagui sur France Inter, elle savoure. L’apogée, pour l’instant, d’une carrière versatile ultra remplie. Hyperactive, elle ironise dans une interview sur le site Artdeséduire : « Je crois avoir travaillé pour la moitié des médias existants ou inexistants. » A cela s’ajoute plus de 35 romans, essais, bandes dessinées ou guides humoristiques. Alors que son sujet de prédilection est boudé par la presse mainstream dans les années 2000, elle invente une nouvelle spécialisation au journalisme. Fini les conseils bidons et les dernières pages consacrées au BDSM soft et à l’échangisme entre voisins : sa vision de la sexualité est décomplexée et imaginative, remet en question nos standards et brise nos tabous.

Devenir sexperte

Quand on lui demande son métier, Maïa répond : « Journalisme de société. » Être sexperte au quotidien peut être dur à vivre. Lors des dîners ou repas entre amis, elle se lasse de radoter. Son métier attise la curiosité. Il est rare. Dans les années 90, il y a une certaine illégitimité à parler de sexe dans le milieu du journalisme. Le sujet est réservé à la presse féminine et il est souvent mal traité.

« Une fois que j’ai commencé à travailler à Playboy (…), je m’y suis sentie bien et je suis restée. »

A l’École Supérieure de Journalisme de Lille, la quadra ne se reconnait pas dans ses camarades, qui veulent tous être reporters de guerre. Après un premier emploi à la télé, elle est embauchée à Newlook et surtout à Playboy : « Personne ne voulait ces jobs, mais une fois que j’ai commencé à travailler régulièrement pour Playboy – normalement, les gens partent après deux ou trois mois – je m’y suis sentie bien et je suis restée. Donc ce n’était pas un choix par défaut » explique-t-elle à TV5 Monde. Férue du sujet depuis longtemps, elle écrit des histoires « vaguement sexuelle » durant son enfance. Chez le meilleur ami de ses parents, un sexologue, la jeune fille dort dans sa bibliothèque et dévore ses ouvrages pour en tirer une liberté totale en la matière.

Connue sur Internet

Elle se fait un nom grâce à son premier livre, sorti en 2001, Nos amis les hommes. Visionnaire, elle écrit déjà sur Internet sur ses blogs La Coureuse ou Sexactu. Un univers qu’elle maîtrise sur le bout des doigts. Les critiques, menaces et insultes sont inhérentes à la vie de chroniqueuse sur la toile et encore plus exacerbées quand on est une femme qui parle de sexe librement. Maïa s’en moque. Son adresse personnelle est même publique – elle est attentive au courrier des lecteurs et s’en sert notamment pour sa chronique « Burne Out » sur France Inter. Mais « jamais personne n’a toqué à ma porte », raille-t-elle. Sa chronique hebdomadaire au Monde l’a fait connaître du grand public. En quelques années, elle est la plus lue du site web. La journaliste parle du rapport au corps, de la masturbation, des différences entre les hommes et les femmes, de la grossophobie ou des minorités sociales et sexuelles sur un ton léger, conciliant, et même pédagogue. Le tout est regroupé dans son ouvrage, sortit début 2020, Le sexe selon Maïa.

Le sexe selon Maïa

Plus chroniqueuse que journaliste, Maïa Mazaurette est payée pour donner son avis avec un certain style d’écriture. Elle vend un point de vue, certes pas universel, mais sacrément bien argumenté. L’écrivaine est une bosseuse, névrosée des bibliothèques qui, paradoxalement, écrit beaucoup dans les transports en commun. Elle décortique études et rapports pour nourrir ses pamphlets de chiffres révélateurs qui égayent ses idées. À Playboy, elle avait coutume d’enchaîner les expériences et de festoyer dans des soirées BDSM et échangistes. Des nuits « codifiées » qu’elle critique aujourd’hui. Imaginative, elle revendique une sexualité sans règles. Elle blâme Sade, le porno mainstream et la psychanalyse d’avoir véhiculé des idées trop centrées sur la pénétration.

Son dernier livre, Sortir du trou, Lever la tête, est un essai qui tente de déconstruire l’absurde croyance que nos sexes sont compatibles ; d’un côté le trou, réceptacle béant et de l’autre le pénis, qui comble le vide. Elle offre aussi des conseils pour s’ouvrir à une autre forme de sexualité, où le plaisir interne, de l’homme (prostate) comme de la femme (clitoris), n’est plus le grand oublié. Dédramatisant les pratiques moins courantes, la sexperte les explore toutes en démontant les clichés les entourant. Les sujets les plus tabous sont auscultés à la loupe : masturbation, plaisir prostatique, sextoys, mais aussi le consentement ou les violences conjugales. Elle adopte un ton bienveillant, voire humoristique, comme dans ses deux livres, L’Anti-Kamasutra à l’usage des gens normaux et Le Guide du râteau.

Elle, les hommes, elle les aime

Née d’une mère professeure de lettre et d’un père dessinateur textile, Maïa hérite des deux talents. Elle illustre elle-même ses chroniques et ses livres. Son pêché mignon ? Les hommes nus. La sensualité et la sexualité sont trop souvent représentés par des femmes. Elle cherche donc à érotiser la gent masculine qui compose la majorité de ses lecteurs.

« Féministe radicale mais nuancée. »

Sans omettre le club LGBTQIA+, elle s’adresse principalement aux garçons hétéros de tout âge. Féministe mais loin d’être misandre, son engagement est une manière de vivre avec les hommes : « Si je lis les news sans être féministe, sans avoir de cadre intellectuel, je comprends quoi ? Que les femmes sont violées, battues, tuées, mal payées, exploitées. Par des hommes. Le risque dans cette situation, c’est la haine » justifie-t-elle à Artdeseduire. Elle conceptualise donc ce qu’elle vit : elle peut taper sur un système et non sur des personnes. Se définissant comme « féministe radicale mais nuancée », Maïa engage parfois des opinions brutales mais reste optimiste : elle estime que les hommes sont suffisamment intelligents pour comprendre que sa brutalité est une manière de les sortir du trou…

Enfance et amour

Ses convictions lui sont apparues très tôt. Ses parents l’ont élevé, elle et son frère, de la même manière, sans distinction de genre. Ado un peu garçon manqué, fan de comics et de skateboard, elle avale Le Deuxième Sexe en un week-end. Ne se retrouvant pas dans ce qui est demandé aux filles de son âge, elle s’engage dans l’association féministe Les Marie pas Claire à 16 ans. Forcément, les sujets sexos se sont imposés. Aujourd’hui en couple avec un comédien de théâtre américain, elle ramène le principal des revenus, car son métier lui offre plus de stabilité. Il l’a suivi en France à la rentrée pendant qu’elle écume les plateaux télés après six ans d’exil à Brooklyn. Les enfants ? Elle s’en désintéresse totalement. Dans cette relation libre, s’épanouir dans sa sexualité ne signifie pas pour autant enchaîner les partenaires. Ce couple est l’occasion d’expérimenter et de laisser libre court à son imagination. La sexualité est un sujet trop important pour Maïa. Il mérite qu’on lui consacre du temps.

Mathieu Alfonsi